mercredi 23 décembre 2015

UNE SUBSTANCE CANCÉRIGÈNE DE LA DÉMOCRATIE BURKINABÉ COMME HÉRITAGE DE LA TRANSITION

Les députés du CNT en session. Crédit photo: le Faso.net
Plus qu’une semaine de transition et nous revoilà sur les rails de l’ordre constitutionnel rétabli. Il y a de quoi s’en réjouir au regard des sacrifices consentis çà et là pour que le pays ne sombre pas dans le chaos. Félicitations à tous les Burkinabé. Cependant cette joie ne doit pas cacher le fait que le prochain mandat présidentiel présente des défis à notre jeune démocratie. L’un de ces défis reste le retour de la société civile dans ses rôles régaliens, car ceux-ci ont été considérablement biaisés durant la transition. Pour l’heure, la société civile sort de la transition comme une substance cancérigène pour la jeune démocratie burkinabé.

Dans le modèle démocratique qui est proposé au Burkina Faso depuis l’adoption de la constitution du 2 juin 1991, la société civile occupe une place importante. En tant que corps social, et par opposition à la classe politique, la société civile regroupe l'ensemble des associations et organisations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif œuvrant pour le développement social et économique d’un pays. A ce titre, elle participe de l’enracinement de la démocratie au travers d’actions de sensibilisation, de veille citoyenne et de renforcement des capacités de développement. 

LA SOCIÉTÉ CIVILE TIRE SA LÉGITIMITÉ DANS SA CAPACITÉ A PRENDRE DE LA DISTANCE D’AVEC LE POLITIQUE

Mais en réalité, la société civile tire sa légitimité et sa force dans le fait qu’elle est une auto-organisation de la société, en dehors de tout cadre politique, administratif ou commercial. Cette légitimité fait d’elle un maillon essentiel du mouvement démocratique. En effet, étant éloigné de la sphère politique (dans la forme comme dans le fond), la société civile assure mieux son rôle de veille citoyenne.

Cependant, depuis la tentative de passage en force, extra-constitutionnel, du défunt régime Compaoré, un copinage s’est créé entre la société civile et les acteurs politiques (de l’opposition d’alors) pour  contrecarrer la forfaiture. Cette synergie d’actions, même si elle fut salvatrice pour notre démocratie sonnait en même temps le glas de la légitimité de la société civile burkinabé.

Au nom de la transition, la société civile burkinabé jadis forte de son union s’est scindée en particules politiquement actives. Des particules qui ont eu des points de chute différents.

DE LA SOCIÉTÉ CIVILE A L'EXÉCUTIF : UNE AVENTURE RISQUÉE !

Après le choix porté sur Michel Kafando pour diriger la transition post-insurrectionnelle, nous avons assisté à la mise en place d’un gouvernement multifacette. De grosses pointures de la société civile se verront appelés dans l’exécutif. Cette aventure politique d’acteurs respectés de la société civile, même si elle a suscité des espoirs, présentait un risque pour la reprise de la vivacité de notre démocratie après la transition. Aux termes de la transition, ces acteurs qui ont mis en jeu leur personnalité se voient comptables des succès mais aussi des échecs de l’exécutif de la transition. Quel impact cela aurait-il sur leur repositionnement dans notre système démocratique en tant acteurs de veille ?  Une question qui nécessite notre patience pour voir le processus de dépolitisation qui nous sera servi par ceux-ci.

QUAND LA SOCIÉTÉ CIVILE DEVIENT LÉGISLATRICE ET BIAISE D’AVANCE LES LUTTES CITOYENNES A VENIR

La forte implication de la société civile dans cette transition, c’est au Conseil national de la Transition qu’elle s’est le plus ressentie. 25 acteurs ont siégé comme législateurs de la transition. Qu’est-ce que cela implique comme précédent ? L’avenir nous le dira.

Jamais la société civile burkinabé n’est allée aussi loin dans son histoire. Voter des lois ! On dira que rien ne l’interdit, mais rien ne nous dit également que cela n’aura pas de conséquences sur la marche démocratique de notre pays. Quelle va être la qualité de la contribution de la société civile à la veille citoyenne au lendemain de la transition au regard de ce qu’elle aurait pu faire et n’a pas fait ou de ce qu’elle n’aurait pas dû faire et a fait ? Là également la question reste posée.

DES VEILLEURS-DÉCIDEURS, UNE AUTRE FACETTE DES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DURANT LA TRANSITION

Beaucoup ont dit que cette transition était celle des vainqueurs. Oui, c’est vrai ! Et c’est normal au regard du contexte dans lequel elle est advenue. Mais, du côté de la société civile, les vainqueurs étaient nombreux. Si nombreux que d’autres n’ont pas pris part aux organes de la transition. Seulement, leur implication dans le cadrage, le suivi et la défense de la transition s’est fait remarquer. Parfois hors de la courtoisie, surtout sur les réseaux sociaux. Du haut de leur tour de sentinelle, ils ont régné mais ils n’ont pas gouverné. Par moment, ils se sont mutés en avocats de la transition même dans ses dérives les plus compromettantes. Cette attitude de défendre l’indéfendable, en surfant parfois sur la diffamation compromet nécessairement l’avenir de militant de la société civile pour ces acteurs.

Cet argumentaire ne nie nullement le fait que le rôle de veille ait été assumé. Non. Cette tâche a été remplie mais avec moins d’intensité. La société civile, durant la transition, a été moins regardante sur certains deals politiques du fait de la trajectoire de ses visions qui était plus ou moins adjacente avec celle des organes de la transition. Cette partialité et ce manque de vigueur et de rigueur n’ont-ils pas apporté du discrédit à ces acteurs de la société civile ? Ces précédents ne constituent-ils pas des goulets d’étranglement pour le Burkina nouveau, plus démocratique, qu’on nous promet ?

SOCIÉTÉ CIVILE BURKINABÉ, A TON TOUR DE T’OUVRIR A L’ALTERNANCE

Au regard de ce qui précède comme analyse situationnelle, il est important, voir urgent que la société civile s’embarque dans une dynamique de refondation de la légitimité post-insurrectionnelle et post-transition au travers d’un renouvellement des acteurs de premiers plan. Cela est vital. Sinon nous prenons le risque de voir notre jeune démocratie, appréciée de par le monde être victime d’un malaise irrémédiable.

La société civile sort de cette transition grandie en expérience, mais aussi lourde de responsabilité car comptable de la définition de la trajectoire nouvelle de notre avenir national. L’urgence pour elle, c’est de se dépolitiser et de s’ouvrir à l’alternance. Si elle ne se dépolitise pas assez rapidement, si elle ne s’ouvre pas à une alternance au niveau de sa classe dirigeante, elle risquerait de cancériser notre jeune démocratie et provoquer sa mort en douceur. Espérons que nous n’en arriverons pas là !

Rodrigue HILOU

Sociologue

mercredi 2 décembre 2015

LA MARCHE DÉMOCRATIQUE DU BURKINA FASO : L’INSURRECTION COMME RENAISSANCE

Les électeurs en queue pour exprimer leurs choix / Crédit photo: lepoint.fr 
Depuis le 29 novembre 2015, la fermeture des bureaux de vote sans heurts présageait un succès indéniable du processus électoral devant marquer la fin de la transition au Burkina Faso. Pour rappel, cette transition avait été entamée au lendemain de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 contre la modification de l’article 37 de la constitution. Une insurrection salutaire à plus d’un titre qui a emporté avec elle, dans les oubliettes de l’histoire, les pouvoirs législatif et exécutif du défunt régime Compaoré. 

Aujourd’hui, le train de la démocratie burkinabé reprend de façon formelle les rails avec la proclamation des résultats des élections présidentielles, qui donnent Roch Marc Christian Kaboré vainqueur. L’avènement de cette ère démocratique (dans la forme pour l’instant) est à mettre à l’actif du courage du peuple burkinabé au travers de son insurrection pour défendre la constitution et la république.

Replacer l’insurrection dans son rôle historique…dès maintenant !


Sans nul doute, l’insurrection du peuple burkinabé des 30 et 31 octobre 2014, avec à sa tête sa jeunesse, reste le phénomène déclencheur de la nouvelle ère démocratique qui se dessine au pays des hommes intègres.  En raison de son caractère radical et même brutal dans une certaine mesure, l’insurrection d’octobre 2014 a exercé une influence des plus déterminantes sur la formation de l’idée « d’un vrai pouvoir du peuple ». Indéniablement cela s’est inscrit dans la conscience collective au plan national. Autrement dit, elle est et demeurera un « phénomène social total* » en ce sens qu’elle a incarné en elle une transformation globale de la société burkinabé allant du politique à l’économique en passant par le social, le religieux et le culturel. Tous les pans de la vie nationale ont été ébranlés par cet événement historique. Mais l’importance de cette insurrection part au-delà de son rôle de destruction ou de reniement populaire d’un système oppresseur vieux de 27 ans. Au-delà donc de son rôle tant historique c’est tout l’espoir qu’elle laisse poindre à l’horizon : l’espoir de voir naitre le « burkinabé nouveau », juste, intègre, travailleur et patriote ! Est-ce une cible qui relève d’un idéal-type béat ou un projet objectif et réalisable ? La question reste posée. 

Des acquis indéniables qui feront désormais partie de l’identité nationale


L’autre importance de l’insurrection burkinabé réside dans l’acquisition d’un certain nombre de principes qui sont en train d’acquérir peu à peu une portée nationale voire continentale. Il n’est pas tôt pour le dire. Depuis l’insurrection de fin octobre 2014, l’espace public burkinabé semble, en effet, se conjuguer avec les concepts comme les « libertés publiques » (liberté d’opinion, d’expression, de circulation), la « justice sociale » (peut-être en construction), « l’indépendance du pouvoir judiciaire » (observable par des bases qui se posent), etc. Ces principes sont en réalité les manifestations réelles d’une ère démocratique en construction. Cependant, au cours de la transition bien des difficultés ont été observées. Ces acquis sont en passe d’être de pseudo-valeurs au regard de leur exploitation par les citoyens désormais « libres ». De la trop grande implication politique de la société civile, au débordement des libertés civiques (droit de grève, de manifestation et d’association) en passant par le parasitage militaro-politique, ces principes acquis par l’insurrection ont bien été bousculés, voire mal exploités. Il est donc important que l’autorité de l’Etat soit rétablie dans sa plénitude pour, non pas freiner l’épanouissement de ces libertés, mais les encadrer et les protéger. Ils sont le fruit d’une lutte qui a un côté funeste.

L’esprit de l’insurrection dans les urnes présidentielles ?


Les élections n’ont point échappé à l’effet domino de ce soulèvement populaire d’octobre 2014. En effet, un an après l’insurrection, les Burkinabé sont allés aux urnes élire leur président. Là encore, comme des victimes d’une vague violente, mieux, comme des marionnettes dans les mains du vent de changement qui souffle sur le pays des hommes intègres, les candidats n’ont pas pu s’échapper de l’emprise de l’insurrection. En esprit, cette dernière a plané sur la campagne électorale.  En effet, au-delà des programmes politiques, ce sont des arguments basés sur le « vrai changement » qui se sont combattus. Il fallait coûte que coûte tenir un discours révolutionnaire pour mobiliser le peuple. Mais, cet esprit de l’insurrection qui a su maîtriser et garder les politiques en respect a-t-il aussi eu un effet sur le vote des burkinabé ? Là, la réponse reste mitigée. 
Du besoin d’une rupture totale avec l’ancien système au désir d’un changement de cap, les électeurs savaient indéniablement qu’ils voteraient pour du nouveau. Mais toute l’attente était de voir si ce nouveau serait fait avec du vieux ou avec du neuf. Sans rester dans les polémiques politiques, il faut reconnaitre à ces élections leur caractère atypique en ce sens que seul l’argument du changement est sorti gagnant des urnes (mais à chacun sa vision du changement). C’est donc bien le changement qui a gagné. Ces élections viennent ainsi de donner forme, légalité et légitimité à l’esprit de l’insurrection. Cet esprit qui veut que « plus rien ne soit comme avant » mais que tout soit mieux et de manière positive.

Une reconfiguration de l’hémicycle qui a un goût insurrectionnel


La configuration nouvelle de l’hémicycle montre bien que la voix du peuple va désormais retentir au sein des représentants nationaux. La razzia électorale n’ayant pas été au rendez-vous, l’heure est au compromis politique pour la gouvernance. Les urnes n’ont donc pas tellement trahi l’esprit de l’insurrection. Elles ont donné des résultats qui montrent bien que « plus rien ne sera comme avant ». La députation devient plus que de la simple représentation : elle implique désormais et paradoxalement la notion de « gouvernance ». Une reconfiguration salutaire qui, du reste, est à mettre au compte de l’insurrection. Cela laisse entrevoir et d’une manière définitive l’idéal d’une société démocratique, quel que soit le type de régime politique dans lequel elle s’incarnera désormais au Burkina Faso.

Rodrigue HILOU
Sociologue 

* « Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux totaux ou, si l’on veut — mais nous aimons moins le mot —, généraux : c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions » — Marcel Mauss in Essai sur le don

vendredi 13 novembre 2015

SOCIOLOGIE BURKINABE, UNE SOCIOLOGIE SILENCIEUSE : DE LA NEUTRALITE AXIOLOGIQUE A L’AUTO-BAILLONNEMENT

Le sociologue a pour mission de rendre visibles et compréhensibles des phénomènes sociaux qui ne sont pas immédiatement apparents (Montoussé et Renouard, 2002) pour les acteurs sociaux. Cette mission qui lui est confiée, l’oblige à avoir une posture savante pour être une référence sur les questions relatives aux faits et actions sociales. Le sociologue est donc censé produire et tenir des discours sur ses domaines d’intervention. Mais à côté de cette mission, il y a aussi le devoir de respecter ce que Weber appelle la « neutralité axiologique ». Ce qui m’amène à analyser autrement le caractère silencieux de la sociologie burkinabé. C’est vrai, il y a les réalités externes à la communauté des sociologues de notre pays qui expliqueraient en partie cette situation (absence d'appui institutionnel, peu d'intérêt accordé à la discipline, etc.). Mais, l’important c’est de voir ce qui en son sein pourraient déterminer cette situation. La question que je me pose au départ de ma réflexion est la suivante : le caractère silencieux de la sociologie burkinabé est-il la manifestation d’une neutralité axiologique ou l’expression d’un auto-bâillonnement non assumé ?

Pour répondre à cette question à deux ouvertures, je vais aborder les deux éléments qui la composent en partant de deux hypothèses qui me serviront de supports d’analyse.

Hypothèse 1 : Le silence du sociologue burkinabé comme manifestation d’une neutralité axiologique béate


La neutralité axiologique est perçue par le sociologue allemand Max Weber dans « Le Savant et le politique » (1919), comme l'attitude du chercheur en sciences sociales n'émettant pas de jugement de valeur dans son travail. Cette situation pourrait conduire le sociologue à adopter un comportement de réserve pour ne pas rompre avec cette neutralité. Le plus souvent, le sociologue s’intéresse à des sujets qui affectent le quotidien des acteurs sociaux. Les conclusions auxquelles il parvient sont donc susceptibles d’interprétations diverses par ces acteurs sociaux, notamment ceux des bords politiques. 

Les sorties médiatiques des sociologues burkinabé qui sont des événements rares, voire très rares s’expliqueraient par un tel facteur. Pourtant, ces « intellectuels » savent que leurs discours objectifs et scientifiquement argumentés peuvent apporter des changements notables dans diverses sphères de la vie sociale, politique ou économique. En effet, si nous acceptons que le sociologue soit un « éclaireur » de la société, on est en droit de se demander, justement, « que vaut un éclaireur dont la lampe est cachée (de gré ou de force) sous le boisseau ? ».

La neutralité axiologique est plutôt orientée sur des jugements de valeurs et ne saurait interdire au chercheur de débattre à la lumière du jour sur les sujets qui le passionne encore moins d’avoir une opinion personnelle quant à l'objet qu'il étudie. L’apport du sociologue réside dans sa capacité à faire comprendre les phénomènes sociaux qui font notre quotidien. Il doit également amener les acteurs sociaux à prendre en compte ces résultats (ou pas) dans leurs actions individuelles ou collectives.

Ainsi donc, la distanciation sociale, même si elle doit être "déontologiquement" observée, elle ne saurait enlever au sociologue son statut d’acteur social qui doit participer à la vie de son quartier, de sa communauté, de sa société, de sa nation, etc. La neutralité axiologique ne commande donc pas au sociologue de rester muet. Mais d’éviter toute prise de position qui pourrait affecter son rôle de « savant ». Ainsi donc, le silence actuel du sociologue, face à la montée en puissance de problèmes sociétaux, pourrait tout aussi discréditer sa noble discipline, car sa valeur ajoutée ne serait plus perceptible dans la société.

Hypothèse 2 : Le silence du sociologue burkinabé comme expression d’un auto-bâillonnement inavoué ?


Et si le sociologue burkinabé avait choisi lui-même de rester muet pour d’autres raisons inavouées ? Cette question me semblait absurde au départ. Mais, après je me suis rendu compte qu’elle mérite d’être posée. Il s’agit ici de rechercher à l’intérieur même de la communauté des sociologues d’autres facteurs qui pourraient expliquer cette situation de silence. Au nom du « on ne nous donne pas la parole », les sociologues semblent justifier leur propre démission du débat public. Qui ne donne pas la parole au sociologue ? Ou plutôt qui devrait la lui donner ? A ces questions je ne saurais donner réponses. Mais je répondrai plutôt à une autre : Le sociologue cherche-t-il à se faire entendre ?

A observer l’espace public burkinabé, l’absence des sociologues, du moins sous leur casquette de scientifiques, reste un fait criard. Tout nous conduit vers une explication basée sur le mutisme de ce groupe de scientifiques incontournables, parfois « loquaces » souvent « invisibles ». Le sociologue, cherche et le plus souvent trouve, mais il ne communique que par moment ses résultats. Sur les questions urgentes du pays, la parole n’est pas « donnée » au sociologue (je l'accepte), mais lui non plus ne l’"arrache" au regard de son rôle de médecin du social (s’intéresser aux faits sociaux qui relèvent du pathologique: Durkheim). 

Loin de s’apparenter à une exclusion du sociologue du débat public national par X ou Y personnes, le silence de ce dernier renvoie plutôt à une démission qui n'est pas assumée. autrement dit, un "auto-bâillonnement" inavoué. Or, le scientifique n’est pas fait que pour chercher, toujours chercher, encore chercher. Il doit également avoir un temps de partage avec ceux qui ont besoin de ses savoirs et de ses résultats. Il doit les rendre accessibles et digestes.

Si la deuxième hypothèse s’avère vérifiée, je suis en droit (mais en toute modestie) de dire aux sociologues burkinabé qu’il est temps pour eux, toutes générations confondues, de sortir de leur mutisme injustifié et injustifiable pour donner de la voix dans cette cité en souffrance. Ce n’est pas qu’un droit à faire valoir mais c’est aussi et surtout un « devoir ».


Rodrigue Hilou

LA COP21: ALLONS-NOUS VERS UNE ÉNIÈME PARODIE DES GRANDES PUISSANCES SUR LES QUESTIONS DE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Au lendemain des élections couplées du Burkina Faso, pendant que nous serons dans l'attente du nom de notre prochain président, le monde entier aura le regard tourné vers la France. Eh oui! Rfi, n'aura pas que notre élection à couvrir. Ce jour 30 novembre 2015, s'ouvrira, à Paris, la 21e conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Au regard des enjeux d'une telle rencontre, une question me titille l'esprit. Cette COP est-elle à mesure de répondre aux espoirs qu'on lui porte?

Depuis 1972, avec la première assise internationale sur l'environnement et le climat à Stockholm, les questions climatiques mondiales deviennent des préoccupations internationales. Les différentes parties prenantes de cette conférence se réunissent annuellement depuis 1997 pour décider des mesures à mettre en place pour limiter le réchauffement climatique à seulement 2 °C.

L’humanité réunie autour de cette convention reconnaît donc, depuis 1972, l'existence d'un changement climatique d'origine humaine. La COP, dans une vision équitable, donne aux pays industrialisés le primat de la responsabilité pour lutter contre ce phénomène. La logique du « grand pollueur, grand réparateur ».

L'objectif de la conférence de Paris est « d'aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d'impulser/d'accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone ». Projet chimérique ? Suis-je tenté de me demander. Cette question reste posée et justifiée. En effet, même si la COP 21 impose à chaque pays de « préparer et publier en amont de la COP21 une contribution qui présente un plan de travail concret à même de permettre à l’État concerné de faire sa part au sein de l’effort universel », des inquiétudes demeurent.

D’abord, face à la montée en puissance des enjeux et compétitions économiques entre les grandes puissances, la volonté des pays émergents à stabiliser leurs économies montantes, il y a le risque que cette COP de l'espoir soit une énième parodie de ces grandes puissances, qui préfèrent toujours réparer, voir indemniser les populations affectées, que prévenir le réchauffement climatique en jouant sur leurs économies, certes brillantes, mais en souffrance. Déjà, la COP21 doit amener les pays développés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, via le Fonds vert pour le climat pour aider les pays en voie de développement à lutter contre le dérèglement climatique. Cela peut bien être une brèche pour les grandes puissances pour jouer aux « irresponsables » bailleurs de fonds.

Un autre point d’inquiétude est que l'accord censé entrer en vigueur en 2020, devra à la fois traiter de l'atténuation — la baisse des émissions de gaz à effet de serre — et de l'adaptation des sociétés aux dérèglements climatiques existants et à venir. Autrement dit, il s'agira de trouver un équilibre entre les besoins et les capacités de chaque pays. Ce qui ramènera sur la table l'éternel débat sur la répartition de l'effort entre les émetteurs historiques (USA, France, Angleterre, Allemagne, etc. et les économies émergentes (BRICS). La COP21 aura la lourde tâche d'aborder ce point sensible dans les négociations. Comment négocier une diminution équitable et non égalitaire de la production des gaz à effets de serre entre pays dits super-industrialisés et les nations émergentes ?

Loin de m'enfermer dans ce schéma binaire de la responsabilité des Etats pollueurs, je trouve que la question du changement climatique relève plutôt de la morale. Aucune rencontre ne saurait contraindre des pays qui n'ont pas la même morale sur l'environnement à adopter des principes universels qui vont les gouverner. Je suis pessimiste, car la solidarité face au changement climatique dépasse les notions apprises dans les plus grandes écoles de diplomatie et relations internationales.
Le problème il est moral et la solution ne peut qu’être morale. Si une solution devrait venir de simples accords diplomatiques, sans cette dose de morale qui redéfinit les contours de la solidarité internationale, alors il faut s'attendre à des non-respects des clauses pour des questions économiques futures. C’est-à-dire la manifestation de l’hypocrisie internationale.

J'évoquais dans un de mes écrits la nécessité de redéfinir les contours de la communauté internationale qui est justement en passe —s’il elle ne l’est déjà— d’être hypocrite(http://chroniquepolitiqueetsociete.blogspot.com/2015/10/trajectoire-actuelle-de-la-communaute.html). L’humanité doit d’abord parvenir à créer une solidarité vraie entre les peuples et les Etats. C’est la condition pour aller vers un vivre ensemble qui intègre des valeurs humaines et une morale partagée et assumée ensemble.

Une fois de plus, je persiste: seule une solidarité internationale, basée sur une morale et des valeurs qui transcendent les ego des grandes puissances pourrait apporter secours à notre monde engagé dans l’autodestruction depuis la période de l'industrialisation. On est pourtant loin d’une telle réalité (solidarité internationale non hypocrite) car c’est l’économie qui gouverne le monde. A moins qu’il n’y ait un changement brusque de la trajectoire actuelle du système économique mondial. Ce système irresponsable qui détruit tout au nom d’un présent meilleur qui passe sans être meilleur. Ce miracle est-il pour demain ?

Rodrigue Hilou

vendredi 23 octobre 2015

TRAJECTOIRE ACTUELLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE: DE LA NÉCESSITE DE ROMPRE AVEC L’HYPOCRISIE DÉGUISÉE !

Redéfinir les contours du concept de "communauté internationale"
De nos jours, on fait souvent appel à la « communauté internationale », on s'insurge contre des actes portant atteinte aux intérêts de celle-ci. On parle ou agit « au nom de cette même « communauté internationale »... mais on ne prend jamais le temps de définir cette communauté internationale et de lui poser les vraies questions. Qui la compose ? Que peut-elle faire ? Que ne peut-elle pas faire ? Où et comment peut-elle agir ? Autant de questions qui restent suspendues quand on sort des sentiers battus de la réflexion politico-juridique sur cette notion de « Communauté internationale ».  Mieux, on voit une communauté internationale très indécise devant les douleurs de l’humanité et noyée dans une marre d’hypocrisie béate.

La communauté internationale est actuellement dans les mains des Etats et non des peuples. Une communauté des Etats ne peut suffisamment se pencher sur les questions visant l’amélioration des rapports entre les peuples et leurs conditions de vie. Il faut impérativement que la communauté internationale ait un visage communautaire et non communautariste. Communautaire, en ce sens qu’elle doit se baser sur la solidarité entre les peuples et la défense de valeurs liées à la notion de communauté. 

Je m’explique : la communauté internationale qui n’a ni frontière ni localisation devrait être la voix qui parle au nom des populations du monde. Pour ce faire, il faut que les instances décisionnelles se démarquent des puissances occidentales (une ambition peut-être complexe mais pas démesurée). Il faut mettre fin à l’hypocrisie internationale déguisée et oser s’assumer devant l’histoire pour que les générations futures puissent voir les traces d’une humanité unie contre la tyrannie, l’injustice, la pauvreté, l’oppression et la dictature de la pensée unique.

Pour une moralisation de la communauté internationale


Souvent interpellée et parfois accusée, la communauté internationale a fini par s'imposer comme une référence en matière de gestion de crises et de définition de règles de conduites dans les Etats du monde. Depuis un certain temps on observe une régionalisation (exemple de la CEDEAO) et une continentalisation (Union Africaine ou Union européenne) de la communauté internationale. Cette expansion idéologique du concept n’a jusque-là eu d’égale que son utilisation erronée dans les discours politiques. Elle est et demeura, pour ainsi dire, un concept chimérique amenant les hommes à croire à une solidarité internationale qui a de la peine à se légitimer.

La communauté internationale semble, de nos jours, n'être qu'un vieux bâtiment en ruines. Si son émergence a suscité beaucoup d’espoirs, force est de reconnaître qu’elle est devenue une grande danseuse de rythmes macabres et désespérants joués par les dirigeants des pays dits «grandes puissances » et leurs valets des pays dits «en voie de développement». Actuellement, il y a plus qu’urgence à redéfinir les contours de ce concept pour une meilleure prise en charge des problèmes du monde par une communauté internationale plus solidaire et morale.

Redéfinir urgemment les contours du concept


La communauté internationale a pour mission principale l’organisation de la solidarité internationale en se basant sur des règles connues et acceptées par tous. Mais aujourd’hui, avec les multiples crises que traverse le monde, cette communauté dite internationale voit ses fondations s’ébranler et au risque de s’écrouler. Les cris de désespoir des citoyens du monde à l’endroit d’une communauté internationale « fabuleuse » sont en train de laisser place à des cris dédaigneux et généralisés en direction d’une communauté compromise politiquement et religieusement. La communauté internationale semble n’exister que lorsque le nouvel ordre mondial est inquiété. Quel mépris !

Pour rappel, c'est après la première guerre mondiale que le nouveau concept de «Communauté internationale» a vu le jour avec la mise en place de la Société des Nations (SDN). Ce concept a des contours politiques et juridiques aussi flous que ses limites réelles. C’est une expression politique désignant de façon imprécise un ensemble d'États influents en matière de politique internationale. Ainsi, il peut désigner les États membres de l'Organisation des Nations unies, c'est-à-dire tous les pays représentés à l'Assemblée générale, ou les seuls États membres du Conseil de sécurité des Nations unies  et plus précisément, les cinq membres permanents (Chine, USA, France, Angleterre et Russie).

Si on ne peut se passer d’une solidarité internationale pour promouvoir un développement humain équitable et durable, alors n’est-on pas en droit de se demander quelle solidarité internationale pour quel développement ?

Rodrigue HILOU
Sociologue

mardi 13 octobre 2015

MANIFESTE POUR UN RENOUVEAU DE LA SOCIOLOGIE AU BURKINA FASO

Des étudiants de sociologie de l'université de Ouagadougou
Crédit photo : news.aouaga.com 
Depuis sa création en 1839 par Auguste Comte, les grands sociologues qui se sont succédés n'ont pas manqué de rappeler les fondements scientifiques de la discipline sociologique et son apport dans le management de nos sociétés contemporaines. Aujourd’hui dans un monde en plein mouvement, où les principes scientifiques des sociologues sont de plus en plus abandonnés au détriment de principes et logiques politico-économiques, il est temps que cette noble discipline revienne à ses fonctions premières. C’est-à-dire assister la marche des sociétés sur les chantiers du développement. C’est de cette sociologie que l’Afrique a besoin. Le Burkina Faso, plus particulièrement, attend le réveil salvateur de cette discipline aux capacités multivariées et insoupçonnées.

Le problème


Depuis bien des années, des burkinabé se forment dans nos universités publiques comme privées, en Afrique comme ailleurs dans le monde avec pour vocation de servir le développement. Notre développement. Cependant, l’apport des sociologues burkinabé qui devrait être corrélé à leur leadership dans le domaine du développement n’arrive pas à succéder au nombre pourtant croissant de diplômés qui sortent de la filière sociologie (en occident comme en Afrique).

On constate plutôt des sociologues orientés de gré ou de force sur des chantiers autres que les leurs. Parfois noyé dans le jeu politique et économique, le sociologue  burkinabé n’arrive pas à prendre sa distance pour produire des discours objectifs sur notre société qui est pourtant de plus en plus malade. 

Les quelques rares sociologues qui s’y adonnent n’ont cependant pas de tribunes pour faire entendre leurs voix. D’autres par contre, sont dans les coulisses du développement comme des consultants renommés mais qui peinent à vivre leur sacerdoce. Or, cette discipline regorge de potentialités énormes qui ne demandent qu’à être explorées et exploitées pour contribuer au développement de nos nations en quête d’un mieux-être.

Ce qui fait la particularité du discours scientifique du sociologue et le rend nécessaire


Lorsque le sociologue observe un fait social, il se débarrasse de tout préjugé. C’est vrai qu’il y a la difficulté de ce que le questionnement sociologique recouvre souvent des considérations de sens commun, et par-là des présupposés et des préjugés. Mais la posture scientifique qui est la sienne lui commande de faire une rupture d’avec ces présupposés et ces préjugés. La sociologie est une science. C'est un fait indéniable. Ce n’est donc pas parce qu’elle porte sur des comportements humains immédiatement compréhensibles qu’elle doit se contenter de reproduire les réflexions du sens commun. Non elle vaut mieux que ça à mon avis. Au plan théorique les précurseurs comme Gaston Bachelard et Emile Durkheim donnent assez de pistes pour arriver à dompter les prénotions et à produire un discours scientifique et utile pour la société.

A l’instar des autres sciences, la sociologie doit non seulement faire des découvertes objectives, mais en plus chercher des modèles explicatifs efficaces et scientifiquement soutenables comme l'ont démontré de grands sociologues comme Durkheim, Weber et Bourdieu. Le sociologue est appelé à se démarquer des découvertes simplement plausibles qui n’ont aucune valeur ajoutée dans la marche de l’humanité.

Tous les grands sociologues ont gardé dans leurs approches la règle de base qui donne quitus au discours sociologique. Cette règle de base est bien sûr celle de la prise de distance par rapport aux choses. C’est-à-dire, ne pas s’y impliquer émotionnellement (en cela je ne suis pas le bon exemple, je le reconnais). Autrement dit, la compréhension d’un phénomène ne peut résulter que de son traitement objectif et non subjectif.

La subjectivité comme goulet d’étranglement


La posture scientifique qui veut que le sociologue commence par lutter contre la subjectivité dans la production de son discours reste chantée depuis la naissance de la discipline. Cependant, il est temps que cette même sociologie devienne son propre objet d’étude car sujette au changement. Thomas Khun ne la met-il pas dans le lot des sciences dites révolutionnaires, c’est-à-dire basées sur des paradigmes évolutifs ? Les faits auxquels sont confrontés les sociologues demandent d’adopter effectivement une posture de distance vis-à-vis de la subjectivité mais pas au prix de tomber dans un scientisme aberrant.

Pour moi, la subjectivité n'est que mesure en sociologie. Tout part de la subjectivité ou du moins tout n'est que subjectivité en amont d'une recherche. Si l’objectivité est la quête, elle ne doit pas pour autant devenir l’obsession chronique. La phobie congénitale qu’ont les sociologues de la subjectivité ne saurait se justifié au regard de sa position souvent solitaire face aux autres acteurs de la vie sociale. Le scientifique et universitaire est aussi l'expert des questions sociales de notre époque. Ainsi donc, le discours sociologique a besoin de partir de nos sensibilités réelles pour répondre aux préoccupations réelles de la société. Quand un discours scientifique ne part pas de discours profanes on ne peut que s'attendre à des résultats trop savants, parfois nul d'utilité. Cela amène à se demander, où commence la subjectivité et où se termine-t-elle ? Quelles en sont ses limites tangibles? Dans le cadre d’une recherche, les limites formelles sont souvent visibles mais poreuses face à la nécessité de certaines conclusions (déontologie du métier). Je dirai donc que le travail du sociologue consiste n'ont pas à produire obligatoirement des résultats contraires à ses appréhensions de départ mais plutôt à les réfuter ou à les confirmer à partir d'une démarche scientifique rigoureuse, exempte de toute critique et de tout reproche.

Bachelard nous rappelle que le fait social est conquis. Cela me fait dire que cette conquête ne se fait que sur le champ de la subjectivité. Le sociologue est avant tout acteur social, son discours part forcement de sa vision du monde et de sa lecture de son environnement politique, culturel, économique, religieux, etc. Conquérir le fait social sur les préjugés fait de la sociologie une discipline consciente de ses limites qui recherche toujours l'objectivité, gage de la scientificité de ses résultats de recherche.

La sociologie reste ce qu’elle est et ne peut donner que ce qu’elle a de mieux à offrir


Le sociologue doit faire l'effort de ne pas tomber dans un positionnement paranoïaque vis à vis de l'effet de la subjectivité sur ses résultats. Il doit être conscient que la particularité de sa discipline l’amène parfois à faire écho des réalités sociales telles que vécues et analyser par le profane.

Je verrai le sociologue comme un tisserand. Le ruban de tissu est le résultat de sa recherche. Il ne peut l’obtenir qu’en entremêlant des fils (méthodes et discours scientifiques, faits observés, etc.). Cela se fait à partir d’une navette à tisser que moi je considérerai comme sa propre vision du monde donc sa subjectivité. Ce qui compte, ce n’est pas qu’il se serve de cette navette à tisser mais son aptitude à produire des tissus solides, beaux et accessibles à tous. Pendant le tissage il doit moins se soucier de son recours à la navette à tisser mais du résultat. En effet, le résultat de son travail  sera détaché du métier à tisser et présenté indépendamment de la navette. Mieux on ne verra même pas les traces de la navette à tisser sur son chef-d’œuvre. C’est ainsi que Weber a pu démontrer le lien entre calvinisme (protestantisme) et capitalisme. Ce résultat emblématique en sociologie n’était à la base qu’une observation empirique de faits (donc subjective) mais dont une démarche rigoureuse a pu valoriser scientifiquement.

Sans tombé dans un sociologisme béat, je crois que le sociologue est appelé, tel qu’il est, tel que sa discipline l’a modelé, à prendre le chemin de son sacerdoce pour contribuer au développement de nos nations. Les critiques formulées à l’endroit de cette discipline pour son élan parfois subjectif ne doivent en aucun cas être des obstacles mais plutôt des défis que la société lui lance. Cela doit se faire non seulement dans les réflexions et l’avancée des théories mais également dans l’action. C'est à ce prix, et je n'en doute point, que la sociologie burkinabé pourra avoir une fonction à la fois curative et préventive, c’est-à-dire guérir notre société malade et en reconnaître les potentiels maux pour les prévenir. C’est pour cette sociologie que je m’engage.

Rodrigue Hilou
Sociologue
rodhilou13@gmail.com

vendredi 9 octobre 2015

LA COMMUNALISATION INTÉGRALE AU BURKINA FASO : OUI ON PEUT REFUSER DE FAIRE LES MÊMES ERREURS !

Siège de la Mairie de la commune rurale de Bana dans la province des Balé
Crédit photo: 
lefaso.net
La décentralisation en tant que choix politique est devenue une option largement répandue depuis la
fin du siècle dernier dans divers Etats africains. Elle se veut un système de dévolution de pouvoir de l’Etat central vers des structures situées à des échelons inférieurs. Aussi, se définit-elle comme étant un instrument de la démocratie et de la participation citoyenne à la gestion des affaires locales.

Le Burkina Faso, depuis l’adoption de la constitution du 02 juin 1991, a choisi comme fer de lance de son développement, la démocratie. Cette entreprise qui venait de rompre avec la période révolutionnaire ne s’y opposait pourtant
pas dans le fond car, elle entendait créer plus de responsabilisation du citoyen et redonner force au peuple.

En 1995, après le constat fait de la faiblesse du pouvoir central à mieux se pencher sur les questions de développement local, le pays tenta sa première expérience de décentralisation formelle. Les Textes d’Orientation de la Décentralisation (TOD) de 1998 viendront apporter une grande contribution à l’enracinement du processus de décentralisation au Burkina Faso. Ils conduiront le pays à une loi référentielle en 2004 portant Code général des collectivités territoriales (CGCT), puis à la communalisation intégrale en avril 2006.

Dès lors, le citoyen est plus que jamais vu, non plus comme simple bénéficiaire du développement, mais aussi et surtout comme acteur et co-auteur du développement. Le vieux concept de la participation sera ainsi resservi dans de nouvelles bouteilles, appuyé par des discours développementalistes associant la responsabilisation de la base. La pleine participation du citoyen à la gestion des affaires locales devient alors le maître-mot.

Jadis vue comme un outil de performance dans le cadre des projets de développement rural, la participation, à travers la décentralisation, a pris une forme plus formelle dans le cadre des réformes politiques majeures induites par l’avènement de la démocratisation.

Pour le milieu rural où les enjeux du développement se posent avec acuité, une adéquation des actions de développement local avec les besoins réels des populations peut être un indicateur de succès incontestable. Avec le premier mandat post-communalisation intégrale, l’attente d’un mode de gouvernance locale conciliant besoins des populations et actions des gouvernants locaux a été vaine.
 
La logique qui sous-tendait les promesses de la décentralisation, reposait sur trois éléments essentiels à savoir : la démocratie qui s’observera par une plus grande participation à la prise de décisions publiques, l’équité au sein des entités territoriales locales à travers une répartition démocratique des bénéfices tirés des activités locales et l’efficacité, c’est-à-dire l’efficacité économique et managériale (Ribot, 2007).

Malheureusement, avec le projet de communalisation intégrale mal planifié et mal exécuté, le pays s’est retrouvé dans une vaste entreprise de politisation du développement local. Plutôt que de booster le développement par la base, notre logique de décentralisation créa des goulets d’étranglement de l’émergence d’un développement pour tous et par tous. Or, la décentralisation est censée être émettrice d’une démocratie nouvelle qui doit permettre une plus grande responsabilisation des populations, surtout celles les plus actives.

Au travers de la communalisation intégrale, l’espace public local devrait être l’espace d’où émanent les politiques de développement par le biais de la concertation à tous les niveaux. Car, atteindre les objectifs de la décentralisation dans nos campagnes devra nécessairement passer par une implication des citoyens ruraux dans la définition des politiques publiques locales. Nécessairement.

Le processus de communalisation rurale est caractérisé par une faible appropriation des enjeux de ce projet hâtif par les citoyens ruraux. Cette faible préparation de la base faisait de la communalisation intégrale un projet mort-né. Loin de susciter l’adhésion populaire, ce projet à créer par le biais des partis politiques des fractures sociales énormes en milieu rural. Aussi, se fait-il le constat d’un assistanat chronique causé par la faiblesse des capacités de mobilisation financière à titre propre de la majeure partie des communes rurales.

Le développement participatif chanté sur toutes lèvres entre 2004 et 2006 demeure toujours une profession de foi. La pratique est tout autre. Ce sont des maires, se croyant au-dessus de tous les villageois et se mettant à prendre des décisions pour tous, qui pullulent nos communes rurales.

L’opacité est le maître mot dans la gestion des affaires locales. Les femmes et les jeunes sont moins consultés par le politique. Le conseil municipal s’apparente à un lot de marionnettes aux ordres de « monsieur le maire ». Dans de telles conditions, à quand le développement local participatif ? A quand la matérialisation du projet de communalisation intégral salvateur, intégrateur d'une nouvelle forme de démocratie, pour soutenir le développement ?

La question reste posée. Il est donc impératif, au moment où s’écrivent les nouvelles pages d’un « nouveau Burkina », que soit mis sur la table cette nébuleuse question des communes rurales comme vecteur du développement local. Il faut qu’on reparte sur de nouvelles bases pour une citoyenneté rurale plus responsable. Oui il le faut! Surtout, pour ne pas faire les mêmes erreurs!

Rodrigue Hilou

rodhilou13@gmail.com

mardi 6 octobre 2015

LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE: ET SI ON INVESTISSAIT DANS LE RURAL?

Champ de mais dans l'Ouest du Burkina Faso/Crédit photo: Rodrigue Hilou
Les programmes d’ajustement structurels mis en place en Afrique sous l'égide du FMI et de la Banque Mondiale depuis le début des années quatre-vingt ont négligé le rôle central des petites agricultures paysannes africaines (Daniele Clavel et all, 2008).

Aujourd’hui, le milieu rural africain fait face à d’énormes difficultés. Des changements climatiques à la baisse de la productivité, en passant par la pauvreté et les faibles capacités technique et matérielle, les ménages ruraux semblent être dans l’impasse. L'agriculture familiale qui constitue le garant de notre souveraineté alimentaire voit ses forces s’amenuiser. Un des défis majeurs du monde rural de nos jours est de se nourrir lui-même d'abord.

Pourtant, de nombreuses études démontrent qu'il existe un véritable potentiel de production agricole en Afrique de l’Ouest insoupçonné et peu ou mal exploité. Le levier pour que les paysans puissent valoriser ce potentiel est l’accès à des moyens de production et à de nouvelles technologies adaptées (qui ne doivent pas être forcément importées). C’est sur de tels chantiers que devaient s’atteler nos politiques depuis l'accession à l'indépendance.

Seulement dans un besoin de paraître comme l'occident nos maigres budgets sont absorbés par des dépenses superflues pour le continent. Les politiques agricoles développées en Afrique de l'Ouest francophone n'ont égale que leur inadéquation manifeste avec l'urgence du terrain. Le rural n'a pas besoin d'une politique d'assistance mais d'une politique d’accompagnement marqué par les investissements publics et privés. Ce n'est pas un fait du hasard si le boom agricole a précédé l'industrialisation en Europe.

Investir dans le rural pour le dynamiser et accroître la production agricole, c'est investir pour l'avenir de nos Etats majoritairement ruraux. Si nos pays sont qualifiés de pays en "voie" de développement, et que nous voulons assumer ce statut, alors il faut également reconnaître que cette "voie" c'est le rural.

Si nous n'acceptons pas notre réalité, qui est que notre développement doit passer nécessairement par la surproduction agricole, alors nous sommes mal partis. C’est seulement une surproduction agricole qui pourra booster le secteur industriel, surtout celui de la transformation. Par ricochet on verra s’accroître la demande de main d'œuvre et du même coup une réduction du chômage des jeunes et des femmes qui n’aura plus un visage rural.

Pour se développer on ne caracole pas. Quand on est sur la bonne voie cela se sent. Les Cas du Japon et de la Chine sont des exemples vrais qui sont les plus proches dans l'histoire. L'Afrique doit se convaincre d'elle même qu'elle "force"  son développement. Ce sentiment de "forcer" est normal car on est sur les traces de l'occident, une voie qui n'est pas la nôtre. On navigue à vue, on essaie et réessaie tout et dans tous les sens. Il est temps de faire un arrêt salvateur et de se poser les bonnes questions pour repenser le développement.

L'urgence de repenser notre développement se justifier par la maligne confusion qui veut que "se développer" soit "s'occidentaliser". C'est là l'erreur. Nous sommes sur un continent propices à l'enracinement d'une économie basé sur le secteur rural (agriculture, élevage, artisanat, pêche, etc.) et il faut en profiter. Avec la fertilité de nos terres et l'ingéniosité de nos populations ont peut dominer l'économie mondiale. Ce qui manque c'est le courage de s'assumer devant l'histoire comme certains peuples l'ont fait.

L'économie rurale est souffrante mais ses potentialités, elles, n'ont point diminué. Il est temps d'apporter les vraies réponses au mal du milieu rural dans son ensemble en le regardant comme l'espace d'une économie complexe pouvant être -et c'est sûr- le moteur de notre développement, le vrai.

lundi 5 octobre 2015

CHRONIQUE D'UN COUP D'ÉTAT "SALVATEUR"

La jeunesse ouagalaise en liesse
 Crédit photo:Le monde.fr
La tentative du coup d'État de l'ex Régiment de Sécurité présidentielle (RSP), enclenchée le 16 septembre 2015, vient de prendre officiellement fin ce jeudi  01 octobre 2015. Elle s'est soldée par l'échec le plus lamentable : le déshonneur et la réprobation. Le peuple burkinabé a clamé une fois de plus son attachement aux valeurs démocratiques, à la justice et à l'État de "droit". Il a obtenu, au prix de vies inutilement fauchées, en affrontant dans les rues de Ouagadougou, les balles meurtrières de ce « Régiment de Soldats Putschistes » et avec l'appui des forces armées nationales, le maintien de la transition et la reddition des putschistes. Quelle victoire !
Le mercredi 16 septembre 2014, dans la matinée, seuls le RSP et ses acolytes politiques savaient ce qui allait secouer le Burkina Faso dans l’après-midi. Tous les Burkinabé avaient les yeux rivés sur le lancement prochain de la campagne politique pour la présidentielle du 11 octobre 2015. Malheureusement, le processus électoral va subitement connaitre un coup d’arrêt forcé.

Emprunter un chemin sans issue

Le mercredi est le jour traditionnel du Conseil des ministres hebdomadaire du Burkina Faso. Tout se déroulait normalement jusqu’aux environs de 14 heures, heure à laquelle les éléments du RSP ont investi la salle de Conseil des ministres de Kosyam. Ils prennent en otage les sieurs Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida, Augustin Loada et Réné Bagoro, respectivement président du Faso, Premier ministre, ministre de la Fonction publique du Travail et de la Sécurité sociale. Très rapidement, l'information est distillée : le gouvernement de la Transition est pris en otage par le RSP. « Est-ce une énième expression d'humeur de ce régiment tant méprisé par tous ? » ou « est-ce un Coup d'État » ? Voici les deux questions qui traversaient tous les esprits. Hélas, pas de temps pour chercher réponse, c'est l'appel à descendre dans les rues pour dire non à la prise d’otage. Malheureusement, les militaires empêchent les manifestants de se réunir par des tirs à balles réelles et des chasses poursuites dans les rues de Ouagadougou. Cette nuit de mercredi va être longue. Le sang va même couler.

Le lendemain jeudi 18 septembre 2015, le peuple burkinabé, révolté, va être situé : il s'agit bien d'un Coup d'État. L’annonce est faite à la télévision nationale par le médecin colonel Mamadou Bamba, alors porte-parole des putschistes. Il annonce l'instauration du Conseil national de la Démocratie (CND) et la dissolution du gouvernement ainsi que du CNT.

Par la suite, quatre autres communiqués suivront, avec un chapelet de mesures parmi lesquelles le choix du Général Gilbert Diendéré comme président du CND. Le masque est tombé. Le peuple découvre enfin son bourreau. C'est donc lui le putschiste : le général super homme. Cet homme du silence a décidé de sortir du mutisme pour parler avec les armes.

Pour un militaire de son rang on est tenté de dire : quelle absurdité ! Mais, au-delà de son caractère absurde, ce coup d'État venait donner l'occasion au vaillant peuple burkinabé, en marche vers son développement, de parachever sa révolution d'octobre 2014. C'est-à-dire, obtenir la dissolution de ce régiment qui ne faisait plus ou pas la fierté du pays de Thomas Sankara. C’était l’occasion ultime d’en découdre avec un régiment dont les compétences tant clamées dans le pays et dans la sous-région n'avaient d'égales que les bavures et les basses besognes qu’il exécutait en arrière-plan du jeu politique au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest de façon générale. Le RSP venait de s’engager dans une voie sans issue, ou plutôt avec pour seule issue sa propre dissolution.

Un militaire tacticien de l’époque de l’analogie face une jeunesse révoltée de la génération des réseaux sociaux

Le jeudi, sans attendre une quelconque condamnation ou intervention de la communauté internationale, le peuple burkinabé, surtout sa frange jeune, avec pour seule arme sa détermination, va engager le combat. Un combat dans un rapport de force certes déséquilibré, mais justifié, au regard de cette forfaiture indigne du pays des Hommes intègres.

Dans toutes les régions du pays, avec le concours des technologies de l'information et de la communication (sites internet, SMS, appel téléphonique, réseaux sociaux notamment Facebook) la mobilisation est lancée. Le peuple n'a qu'un seul désire, que son armée loyaliste vienne à son secours et désarme ces malheureux putschistes. Les premières heures de résistance s’organisent dans les rues du centre-ville, à la place de la révolution notamment. Mais les manifestants seront vite refoulés dans les zones périphériques telles Tampouy, Gounghin, Pissy, Wayalghin et Kossodo. Le décompte macabre commence dans le rang des manifestants sur presque tous les fronts de la capitale. Malgré tout, la détermination du peuple est restée intacte. Les manifestants luttaient de toutes leurs forces quand bien même leur impuissance face à cette horde de criminels était un fait. Chaque image de blessés ou de cadavres de manifestants postée sur les réseaux sociaux, au lieu d’être une source de démotivation du peuple, ne faisait que grandir les rangs des résistants. Des résistants qui, galvanisés par le slogan "la patrie ou la mort nous vaincrons", étaient prêts à aller jusqu’au sacrifice ultime.

Avec les smartphones en main, la lutte devenait mieux organisée. Les positions de l’ennemi étaient connues à la minute près. Cela a permis d’éviter le massacre massif des manifestants. Egalement, chaque recul des putschistes était mis à profit pour faire des barricades servant à les ralentir. Des consignes d’attaque et de défense face aux militaires rebelles étaient données et partagées sur Facebook. Il y a eu du succès avec cette stratégie de communication. Des véhicules vont être abandonnés par les putschistes, les pannes d’essence vont se faire remarquer. Les jeunes militaires du RSP, de la génération Facebook voient circuler sur Facebook leurs photos et vidéos dans des actions répréhensibles. Alors, ils décident de porter des cagoules. Les cameramen, les journalistes et les manifestants se servant de smartphones pour filmer ou photographier étaient devenus les cibles prioritaires des assaillants. Le combat était toujours déséquilibré et en défaveur des manifestants, mais la peur elle semblait s’équilibrer entre les deux camps.

Le vendredi 19 septembre 2015, la répression barbare des soldats putschistes du RSP va continuer à faire des victimes. Les blessés jonchaient les couloirs de l'hôpital Yalgado. Des corps de manifestants commençaient à être dénombrés à la morgue. Les radios ne fonctionnaient plus, seuls l’internet et les réseaux mobiles demeuraient les principales sources d’information des manifestants. Les voix des leaders de la manifestation étaient toujours entendues sur le terrain, leurs post étaient relayés automatiquement sur la toile. Cela donnait du courage aux résistants.

D’autres jeunes, assis chez eux participaient à la lutte à travers les réseaux sociaux. Faire connaitre ce qui se passait dans les rues de Ouagadougou était un autre chantier du combat. Il fallait rendre le monde entier témoin des horreurs qui se passaient au Burkina Faso. Il y avait des post d’encouragement des résistants des autres régions du pays mais aussi les post de découragement des pro-putschistes. Le combat se menait donc sur tous fronts de la communication via internet.

Une médiation sous-régionale mort-née qui tente de passer au forceps

Au regard du climat délétère qui caractérisait les rues de Ouagadougou et les autres villes du pays, la CEDEAO a trouvé en cette crise l'opportunité de redorer son blason et se procurer le respect du peuple burkinabé en considérant ce putsch comme l'expression d'une fracture sociale et politique énorme. Que nenni. La société civile dans son ensemble a qualifié cette sortie de la CEDEAO, sous l'égide du président sénégalais Macky Sall, de "honteuse" pour l'Afrique. Les raisons étaient simples.
Pendant que l’Union africaine, restant attachée aux valeurs et principes démocratiques, manifestait sa solidarité avec le peuple burkinabé, La CEDEAO, elle, s’adonnait à un jeu diplomatique dangereux entamant sa crédibilité et son impartialité. En effet, l’UA a vite fait de condamner fermement ce putsch dès ces premières heures en la qualifiant au passage d'acte terroriste. Dans la même dynamique, l'ONU et l'UE (notamment la France) vont condamner à leurs tours cette forfaiture. Mais, le peuple burkinabé va attendre vainement l’expression de la position de sa « communauté » jusqu’à l’annonce d’une médiation pilotée par le président en exercice de la CEDEAO, le président sénégalais Macky Sall.

Malheureusement, cette médiation de la CEDEAO, dépourvue d'une position claire et ferme vis-à-vis du coup d'État de Gilbert Diendéré et son RSP, va connaitre un échec dans sa forme comme dans son fond.

Dans sa forme parce que la médiation a omis de respecter certaines mesures protocolaires vitales pour une médiation impartiale et professionnelle. En effet, l'accueil que leur a accordé le Général putschiste (honneur militaire, revue des troupes et hymnes nationaux) mettait les médiateurs dans une position incommode pouvant tourner difficilement en faveur de la démocratie. Ensuite, la communication a, elle aussi, été mal conduite, offrant peu de place aux véritables acteurs de la transition dans les discussions. La conséquence immédiate de tels manquements dans la forme va être la proposition d’un projet de protocole d’accord caduque et insultant pour le peuple burkinabé. Les ingrédients pour un échec dans le fond étaient donc réunis.

Dans le fond, on peut dire que la médiation, annoncée en grande pompe, va accoucher dans la suite 1 006 de Laïco Hôtel d'une petite souris. Il s’agit là du pseudo-projet d'accord de sortie de crise, qui va créer plus de divisions  que de rapprochements  des positions, proposé par Macky Sall, Boni Yayi et le président de la commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo. Les lignes du projet d'accord proposent la reprise de la transition, l’inclusion des pro-Compaoré exclus par le Conseil constitutionnel dans les courses électorales présidentielle et législatives, et l’amnistie pour les putschistes. Le Général putschiste se taillait ainsi la part du lion.

La CEDEAO a ensuite appelé les parties prenantes à rester à l'écoute des conclusions du Haut conseil de la CEDEAO qui allait se tenir le mardi 22 septembre 2014.

Un shérif pour diriger la résistance

Face à l'échec annoncé de la médiation et sans attendre les conclusions du Haut conseil de la CEDEAO, le peuple burkinabé, sous les ordres du président du Conseil national de la Transition et président par intérim du Faso, Cherif Sy, va activer un autre champ de bataille, celui de la résistance dans les rues. Au regard de la situation de déséquilibre des forces entre les populations mains nues et les militaires putschistes à Ouagadougou, les populations des autres régions vont exiger avec grande pression que l'armée prenne ses responsabilités.

Les organisations syndicales menaient la résistance sur le chantier de la grève pour paralyser le pays. Elles vont maintenir leurs mots de grève lancés au lendemain du putsch jusqu’à nouvelle ordre. L'économie du pays est à genou. Plus rien ne fonctionne.

Plusieurs partis politiques appellent leurs militants à la désobéissance civile et condamnent le putsch. Les ex partis de la majorité vont rester dans un silence coupable et/ou faire des sorties déplacées et laudatives du coup d’État.

Cherif Sy s'étant investi des prérogatives de chef d'État, Chef suprême des armées, va appeler toutes les régions militaires à monter sur Ouagadougou et à désarmer par tous les moyens le RSP, désormais considéré comme une force rebelle.

Le lundi 21 septembre 2014, le Chef d'état-Major Général des Armées, le Général Pingrenoma Zagré est mis devant ses responsabilités. Il doit agir. Il appelle les chefs militaires à faire mouvement sur Ouagadougou pour mettre fin à la souffrance du peuple. Les garnisons de Bobo-Dioulasso,de Dédougou, de Kaya, de Ouahigouya et de Fada N’gourma sont mobilisées pour venir désarmer le RSP. Toutes les populations sont en liesse. L'engagement de l'armée "loyaliste" aux côtés de son peuple sonnait comme les prémices d'une victoire assurée contre les putschistes. Tous les bataillons vont gagner la ville de Ouagadougou dans la soirée du lundi. Le premier ultimatum est lancé au RSP pour déposer les armes avant 20 heures.

Le mardi 22 septembre 2014, la capitale est encerclée par les soldats loyalistes. Le RSP maintient ses postes stratégiques que sont la RTB, le conseil de l'entente, Kosyam et le camp Naaba Koom. Les deux parties s'engagent dans une communication militaire que ne comprend nullement la population, las d'attendre. « A quand l’assaut final ? » se demandait- -on sur les réseaux sociaux. Les croyants redoublaient d’efforts dans leurs prières pour éviter que le sang de Burkinabé ne soit versé par d’autres Burkinabé. Ou au pire des cas, que les dégâts soient limités.

La fin du mythe RSP : le coup d’état de l’autodestruction, une mission de trop !

Cette mobilisation des forces armées loyalistes, doublée de la condamnation unanime et ferme de la communauté internationale (excepté la CEDEAO alors), va entraîner des défections au sein du RSP. Un deuxième ultimatum est donné aux putschistes pour déposer les armes, cette fois-ci c’était pour 10h00.

Le général putschiste devant la pression ne capitule pas. Il ne panique même pas. Il convoque une conférence de presse pendant laquelle il joue la carte de la diplomatie miliaire. En effet, il dit s'en remettre aux conclusions du sommet des chefs d'États de la CEDEAO à Abuja, au Nigéria, sur la situation burkinabé. Aussi, atteste-t-il que des pourparlers étaient en cours avec les hauts responsables de l’armée pour trouver une issue heureuse à cette crise. Mais, il a affirmé par ailleurs que pour l’heure, lui et ses hommes seraient prêts à se défendre si leurs positions étaient attaquées par les forces loyalistes.

Le mardi soir, les conclusions de la CEDEAO sont enfin connues. Les putschistes n'ont plus de soutien. La seule institution internationale qui s'était désolidarisée des aspirations du peuple burkinabé venait de rejoindre le camp de la démocratie en condamnant officiellement le putsch. Mieux, elle va exiger (mieux vaut tard que jamais) la restauration de la transition et remettre les autres décisions au peuple et aux autorités burkinabé.

La CEDEAO n’a pas manqué de clamer la nécessité d'empêcher une guerre civile avec le déploiement d'une force militaire d'interposition de la CEDEAO. Mais une fois de plus, face au désaveu total du peuple burkinabé relatif au projet d'occupation militaire de sa capitale par une force sous-régionale, la CEDEAO va céder. Néanmoins, elle va chercher à jouer sa carte de légitimation en choisissant cette fois-ci d'abandonner le Général putschiste à son sort. C'est la fin annoncée du putsch.

Ainsi donc, sept jours ont suffi. Sept longues journées faites de mort, de blessures, de sueur, de larmes et de peur. Sept longues journées faites de courage, de détermination, de résistance, de combativité et de diplomatie. Sept longues journées ont suffi pour arrêter cette forfaiture du militaire le plus « fort » et le plus « renseigné » de la sous-région ouest africaine.

Le mercredi 23 septembre 2014, tôt le matin, les Burkinabé qui ont dormi la nuit se sont réveillés dans un climat marqué par le processus de reddition du RSP. Tard dans la nuit du mardi, un accord fut signé chez le Moogho Naaba, chef suprême des moosé, entre le RSP et les hauts gradés de l'armée loyaliste. Egalement, cette journée du mercredi va marquer le retour officiel de la transition avec une cérémonie officielle de "reprise" du pouvoir par Michel Kafando. La CEDEAO est l’organisateur et l’invité d’honneur de la cérémonie avec la présence des présidents du Niger, du Ghana et du Bénin et du représentant du chef d'État Nigérian empêché.

Le même jour, le Général putschiste de son côté regrettait déjà son acte et s’était dit prêt à se mettre à la disposition de la justice burkinabé. Il disait assumer pleinement les responsabilités de ce putsch qu'il avait pris le soin de condamner lui-même au passage.

Après sept jours de tension, l'accalmie régnait à Ouagadougou. Le Burkina Faso, revêtu d'une transition moins lourde, débarrassé de ses goulots d'étranglement militaro-politiques, s'acheminait, lentement mais sûrement et dans la plus grande prudence, vers son renouveau démocratique.
Le peuple burkinabé a vu son calendrier électoral être bouleversé. Mais, les partis politiques se sont mis en ordre de bataille pour les trois consultations électorales à venir, présidentielle couplée avec les législatives et municipales prévues pour plus tard.

Une issue heureuse marquée par le scepticisme

Le vendredi 25 septembre 2015 un conseil de ministre extraordinaire a décrété la dissolution du RSP et ordonné son désarmement. Cet ordre gouvernemental était en pleine exécution quand les soldats du RSP opposèrent subitement une résistance injustifiée le dimanche 27 septembre 2015. Ils rompaient ainsi toutes les closes de l’accord de désarmement se déclarant « trahis » par le gouvernement. Désormais, cette force rebelle se disait prête à mourir au combat plutôt que de se laisser désarmer par la transition.

Le 28 septembre 2015, un autre conseil des ministres extraordinaire s’est tenu pour se pencher sur la situation des forces rebelles de l’ex-RSP. Toute idée de dialogue avec les putschistes « récalcitrants » est abandonnée par le gouvernement de transition. Une déclaration sortira de ce conseil de ministre pour accuser le général putschiste de préparer une déstabilisation du pays avec l’appui du général Djibril Bassolet, recalé dans la course aux présidentielles par la cour constitutionnelle. Cette déstabilisation, semble-t-il, était préparée avec des forces étrangères et des djihadistes. Un communiqué du chef d’état-major général des armées appelle les populations « à être prêtes à appliquer les consignes de sécurité » qui leurs seront données par les Forces armées nationales (FAN). C’est le début des opérations militaires contre le camp Naaba KoomII.

Le 29 septembre 2015, la population burkinabé et particulièrement celle ouagalaise va vivre une longue journée. Celle de « l’assaut final ». Appelée à rester chez eux, au réveil, les résidents de la zone de Ouaga 2000 vont vivre la psychose de la longue attente. A quand l’assaut ?

Sur les réseaux sociaux ça bouillonne. Les informations fusent de partout : « Le conseil de l’entente », ex position des rebelles, est entre les mains des FAN » ; « Les FAN ont encerclé le camp Naba Koom » ; « Djibril Bassolet est arrêté par la gendarmerie » ; « Le capitaine Dao s’est remis à la gendarmerie » ; etc. Les rues étaient presque vides. Quelques commerces fonctionnaient les quartiers loin de Ouaga 2000. Les populations cloitrées chez elles suivaient les informations à la télévision ou sur le Net.

Autour de 16h45, une détonation forte se fait sentir dans les environs de Ouaga 2000. C’est la débandade dans les quartiers situés dans les encablures de Ouaga 2000. Que se passe-t-il ? se demandait-on. Est-ce une riposte des forces rebelles ou une attaque des FAN. Sur les réseaux sociaux la nouvelle se repend. C’est « l’assaut » des FAN sur le camp Naaba Koom. Enfin !

Des tirs d’armes lourdes vont retentir encore et encore. Sur les réseaux sociaux l’information est lancée, le général putschiste est sorti de sa tanière à la recherche d’un lieu sûr pour ne pas « mourir ». IL acordera dans la foulée des interviews téléphoniques à des médias privés pour appeler ses soldats « indéfectibles » à déposer les armes. Il trouvera refuge plus tard à la nonciature apostolique sis à Ouaga 2000.

Peu après 18 heures, le camp Naaba Koom est libéré. Le président Kafando y fait une visite pour rassurer la population du succès de l’opération. Son interview à chaud va susciter joie et scepticisme. En effet, comme bilan de l’assaut le président annonce la prise en main du camp Naaba Koom II et cerise sur le gâteau, avec « zéro victime ». Trop beau pour être vrai. Les Burkinabé restent, jusqu’à l’heure, partagés entre la joie et le scepticisme. Les tirs étaient trop violentes pour se solder par « zéro victime » se disaient certains. Mais l’information officielle était que les roquettes lancées depuis le camp Sangoulé Lamizana sis à Gounghin visaient à effrayer les rebelles et non à les abattre. Les tirs auraient donc visé des espaces vides au sein du camp.

Dans l’attente d’une justice forte, impartiale et professionnelle

Les Burkinabé n’avaient pas le temps de mener un débat sur le bilan de l’assaut car le général était toujours à la nonciature. Tout le monde attendait son arrestation. Le Jeudi, après de longues discussions entre personnes ressources à la nonciature, le général Diendéré sera finalement mis aux arrêts vers 14 heures. Cette arrestation marqua la fin véritable du putsch. D’autres arrestations suivront pour mettre sous les verrous tous les potentiels acteurs militaires et politiques du coup d’État manqué. Les Burkinabé attendent maintenant que la justice fasse son travail et que toute la lumière soit faite sur ces événements qui ont secoué le pays en ce mois de septembre 2015.

Le samedi 3 octobre 2015, les populations des villes abritant les garnisons d’où sont partis les soldats « loyalistes » ont accueilli leurs « sauveurs » revenus de la noble mission de libération du pays. Partout, l’arrivée des « boys » provoquait la liesse générale sur les avenues. Ainsi, donc c’était fini pour le RSP.

Ces dernières heures de vie du RSP, ci-dessus étalées, augurent, sans nul doute, la fin non seulement d’une des forces militaires criminelles et mafieuses les plus nuisibles à la stabilité de l’Afrique de l’Ouest, mais également d'une des organisations militaro-politiques les plus néfastes à l’émergence d’une justice indépendante et vraie au Burkina Faso. Le coup d’État aura donc été « salvateur » quelque part.

Vivement qu'il en soit ainsi!

Rodrigue Hilou
Courriel : rodhilou13@gmail.com