Le sociologue a pour mission de rendre
visibles et compréhensibles des phénomènes sociaux qui ne sont pas
immédiatement apparents (Montoussé et Renouard, 2002) pour les acteurs sociaux.
Cette mission qui lui est confiée, l’oblige à avoir une posture savante pour
être une référence sur les questions relatives aux faits et actions sociales. Le
sociologue est donc censé produire et tenir des discours sur ses domaines
d’intervention. Mais à côté de cette mission, il y a aussi le devoir de
respecter ce que Weber appelle la « neutralité axiologique ». Ce qui
m’amène à analyser autrement le caractère silencieux de la sociologie
burkinabé. C’est vrai, il y a les réalités externes à la communauté des
sociologues de notre pays qui expliqueraient en partie cette situation (absence d'appui institutionnel, peu d'intérêt accordé à la discipline, etc.). Mais,
l’important c’est de voir ce qui en son sein pourraient déterminer cette
situation. La question que je me pose au départ de ma réflexion est la
suivante : le caractère silencieux de la sociologie burkinabé est-il la
manifestation d’une neutralité axiologique ou l’expression d’un
auto-bâillonnement non assumé ?
Pour répondre à cette question à deux
ouvertures, je vais aborder les deux éléments qui la composent en partant de
deux hypothèses qui me serviront de supports d’analyse.
Hypothèse 1 : Le silence du sociologue burkinabé comme manifestation d’une neutralité axiologique béate
La neutralité axiologique est perçue par le
sociologue allemand Max Weber dans « Le Savant et le politique » (1919),
comme l'attitude du chercheur en sciences sociales n'émettant pas de jugement
de valeur dans son travail. Cette situation pourrait conduire le sociologue à
adopter un comportement de réserve pour ne pas rompre avec cette neutralité. Le
plus souvent, le sociologue s’intéresse à des sujets qui affectent le quotidien
des acteurs sociaux. Les conclusions auxquelles il parvient sont donc
susceptibles d’interprétations diverses par ces acteurs sociaux, notamment ceux
des bords politiques.
Les sorties médiatiques des sociologues burkinabé qui sont
des événements rares, voire très rares s’expliqueraient par un tel facteur. Pourtant,
ces « intellectuels » savent que leurs discours objectifs et
scientifiquement argumentés peuvent apporter des changements notables dans
diverses sphères de la vie sociale, politique ou économique. En effet, si nous acceptons que le sociologue soit
un « éclaireur » de la société, on est en droit de se demander, justement, « que vaut un éclaireur dont la lampe est cachée (de gré ou de force) sous
le boisseau ? ».
La neutralité axiologique est plutôt orientée sur
des jugements de valeurs et ne saurait interdire au chercheur de débattre à la
lumière du jour sur les sujets qui le passionne encore moins d’avoir une
opinion personnelle quant à l'objet qu'il étudie. L’apport du sociologue réside
dans sa capacité à faire comprendre les phénomènes sociaux qui font notre
quotidien. Il doit également amener les acteurs sociaux à prendre en compte ces
résultats (ou pas) dans leurs actions individuelles ou collectives.
Ainsi donc, la distanciation sociale, même si
elle doit être "déontologiquement" observée, elle ne saurait enlever au
sociologue son statut d’acteur social qui doit participer à la vie de son
quartier, de sa communauté, de sa société, de sa nation, etc. La neutralité
axiologique ne commande donc pas au sociologue de rester muet. Mais d’éviter
toute prise de position qui pourrait affecter son rôle de « savant ». Ainsi donc, le silence actuel du sociologue, face à la montée en puissance de problèmes
sociétaux, pourrait tout aussi discréditer sa noble discipline, car sa valeur
ajoutée ne serait plus perceptible dans la société.
Hypothèse 2 : Le silence du sociologue burkinabé comme expression d’un auto-bâillonnement inavoué ?
Et si le sociologue burkinabé avait choisi
lui-même de rester muet pour d’autres raisons inavouées ? Cette question
me semblait absurde au départ. Mais, après je me suis rendu compte qu’elle
mérite d’être posée. Il s’agit ici de rechercher à l’intérieur même de la communauté
des sociologues d’autres facteurs qui pourraient expliquer cette situation de
silence. Au nom du « on ne nous donne pas la parole », les
sociologues semblent justifier leur propre démission du débat public. Qui ne
donne pas la parole au sociologue ? Ou plutôt qui devrait la lui donner ?
A ces questions je ne saurais donner réponses. Mais je répondrai plutôt à une
autre : Le sociologue cherche-t-il à se faire entendre ?
A observer l’espace public burkinabé,
l’absence des sociologues, du moins sous leur casquette de scientifiques, reste
un fait criard. Tout nous conduit vers une explication basée sur le mutisme de
ce groupe de scientifiques incontournables, parfois « loquaces »
souvent « invisibles ». Le sociologue, cherche et le plus souvent
trouve, mais il ne communique que par moment ses résultats. Sur les questions
urgentes du pays, la parole n’est pas « donnée » au sociologue (je l'accepte), mais
lui non plus ne l’"arrache" au regard de son rôle de médecin du social (s’intéresser aux faits sociaux qui relèvent du pathologique: Durkheim).
Loin
de s’apparenter à une exclusion du sociologue du débat public national par X ou Y personnes, le silence de ce dernier renvoie plutôt à une démission qui n'est pas assumée. autrement dit, un "auto-bâillonnement" inavoué. Or, le scientifique n’est pas fait que
pour chercher, toujours chercher, encore chercher. Il doit également avoir un
temps de partage avec ceux qui ont besoin de ses savoirs et de ses résultats. Il doit les rendre accessibles et digestes.
Si la deuxième hypothèse s’avère vérifiée, je
suis en droit (mais en toute modestie) de dire aux sociologues burkinabé qu’il est temps pour eux, toutes
générations confondues, de sortir de leur mutisme injustifié et injustifiable
pour donner de la voix dans cette cité en souffrance. Ce n’est pas qu’un droit
à faire valoir mais c’est aussi et surtout un « devoir ».
Rodrigue Hilou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire