Les députés du CNT en session. Crédit photo: le Faso.net |
Plus qu’une semaine de transition
et nous revoilà sur les rails de l’ordre constitutionnel rétabli. Il y a de
quoi s’en réjouir au regard des sacrifices consentis çà et là pour que le pays
ne sombre pas dans le chaos. Félicitations à tous les Burkinabé. Cependant
cette joie ne doit pas cacher le fait que le prochain mandat présidentiel
présente des défis à notre jeune démocratie. L’un de ces défis reste le retour
de la société civile dans ses rôles régaliens, car ceux-ci ont été
considérablement biaisés durant la transition. Pour l’heure, la société civile
sort de la transition comme une substance cancérigène pour la jeune démocratie
burkinabé.
Dans le modèle démocratique qui
est proposé au Burkina Faso depuis l’adoption de la constitution du 2 juin
1991, la société civile occupe une place importante. En tant que corps social,
et par opposition à la classe politique, la société civile regroupe l'ensemble
des associations et organisations à caractère non gouvernemental et à but non
lucratif œuvrant pour le développement social et économique d’un pays. A ce
titre, elle participe de l’enracinement de la démocratie au travers d’actions
de sensibilisation, de veille citoyenne et de renforcement des capacités de
développement.
LA SOCIÉTÉ CIVILE TIRE SA LÉGITIMITÉ DANS SA CAPACITÉ A PRENDRE DE LA
DISTANCE D’AVEC LE POLITIQUE
Mais en réalité, la société
civile tire sa légitimité et sa force dans le fait qu’elle est une
auto-organisation de la société, en dehors de tout cadre politique,
administratif ou commercial. Cette légitimité fait d’elle un maillon essentiel
du mouvement démocratique. En effet, étant éloigné de la sphère politique (dans
la forme comme dans le fond), la société civile assure mieux son rôle de veille
citoyenne.
Cependant, depuis la tentative de
passage en force, extra-constitutionnel, du défunt régime Compaoré, un copinage
s’est créé entre la société civile et les acteurs politiques (de l’opposition
d’alors) pour contrecarrer la
forfaiture. Cette synergie d’actions, même si elle fut salvatrice pour notre
démocratie sonnait en même temps le glas de la légitimité de la société civile
burkinabé.
Au nom de la transition, la
société civile burkinabé jadis forte de son union s’est scindée en particules
politiquement actives. Des particules qui ont eu des points de chute
différents.
DE LA SOCIÉTÉ CIVILE A L'EXÉCUTIF : UNE AVENTURE RISQUÉE !
Après le choix porté sur Michel
Kafando pour diriger la transition post-insurrectionnelle, nous avons assisté à
la mise en place d’un gouvernement multifacette. De grosses pointures de la
société civile se verront appelés dans l’exécutif. Cette aventure politique
d’acteurs respectés de la société civile, même si elle a suscité des espoirs,
présentait un risque pour la reprise de la vivacité de notre démocratie après la
transition. Aux termes de la transition, ces acteurs qui ont mis en jeu leur
personnalité se voient comptables des succès mais aussi des échecs de
l’exécutif de la transition. Quel impact cela aurait-il sur leur
repositionnement dans notre système démocratique en tant acteurs de veille
? Une question qui nécessite notre
patience pour voir le processus de dépolitisation qui nous sera servi par
ceux-ci.
QUAND LA SOCIÉTÉ CIVILE DEVIENT LÉGISLATRICE ET BIAISE D’AVANCE LES
LUTTES CITOYENNES A VENIR
La forte implication de la
société civile dans cette transition, c’est au Conseil national de la
Transition qu’elle s’est le plus ressentie. 25 acteurs ont siégé comme
législateurs de la transition. Qu’est-ce que cela implique comme précédent ? L’avenir
nous le dira.
Jamais la société civile
burkinabé n’est allée aussi loin dans son histoire. Voter des lois ! On dira
que rien ne l’interdit, mais rien ne nous dit également que cela n’aura pas de
conséquences sur la marche démocratique de notre pays. Quelle va être la qualité
de la contribution de la société civile à la veille citoyenne au lendemain de
la transition au regard de ce qu’elle aurait pu faire et n’a pas fait ou de ce
qu’elle n’aurait pas dû faire et a fait ? Là également la question reste posée.
DES VEILLEURS-DÉCIDEURS, UNE AUTRE FACETTE DES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ
CIVILE DURANT LA TRANSITION
Beaucoup ont dit que cette
transition était celle des vainqueurs. Oui, c’est vrai ! Et c’est normal au
regard du contexte dans lequel elle est advenue. Mais, du côté de la société
civile, les vainqueurs étaient nombreux. Si nombreux que d’autres n’ont pas
pris part aux organes de la transition. Seulement, leur implication dans le
cadrage, le suivi et la défense de la transition s’est fait remarquer. Parfois
hors de la courtoisie, surtout sur les réseaux sociaux. Du haut de leur tour de
sentinelle, ils ont régné mais ils n’ont pas gouverné. Par moment, ils se sont
mutés en avocats de la transition même dans ses dérives les plus
compromettantes. Cette attitude de défendre l’indéfendable, en surfant parfois
sur la diffamation compromet nécessairement l’avenir de militant de la société
civile pour ces acteurs.
Cet argumentaire ne nie nullement
le fait que le rôle de veille ait été assumé. Non. Cette tâche a été remplie
mais avec moins d’intensité. La société civile, durant la transition, a été
moins regardante sur certains deals politiques du fait de la trajectoire de ses
visions qui était plus ou moins adjacente avec celle des organes de la
transition. Cette partialité et ce manque de vigueur et de rigueur n’ont-ils
pas apporté du discrédit à ces acteurs de la société civile ? Ces précédents ne
constituent-ils pas des goulets d’étranglement pour le Burkina nouveau, plus
démocratique, qu’on nous promet ?
SOCIÉTÉ CIVILE BURKINABÉ, A TON TOUR DE T’OUVRIR A L’ALTERNANCE
Au regard de ce qui précède comme
analyse situationnelle, il est important, voir urgent que la société civile
s’embarque dans une dynamique de refondation de la légitimité
post-insurrectionnelle et post-transition au travers d’un renouvellement des
acteurs de premiers plan. Cela est vital. Sinon nous prenons le risque de voir
notre jeune démocratie, appréciée de par le monde être victime d’un malaise
irrémédiable.
La société civile sort de cette
transition grandie en expérience, mais aussi lourde de responsabilité car
comptable de la définition de la trajectoire nouvelle de notre avenir national.
L’urgence pour elle, c’est de se dépolitiser et de s’ouvrir à l’alternance. Si
elle ne se dépolitise pas assez rapidement, si elle ne s’ouvre pas à une
alternance au niveau de sa classe dirigeante, elle risquerait de cancériser
notre jeune démocratie et provoquer sa mort en douceur. Espérons que nous n’en
arriverons pas là !
Rodrigue HILOU