mercredi 23 décembre 2015

UNE SUBSTANCE CANCÉRIGÈNE DE LA DÉMOCRATIE BURKINABÉ COMME HÉRITAGE DE LA TRANSITION

Les députés du CNT en session. Crédit photo: le Faso.net
Plus qu’une semaine de transition et nous revoilà sur les rails de l’ordre constitutionnel rétabli. Il y a de quoi s’en réjouir au regard des sacrifices consentis çà et là pour que le pays ne sombre pas dans le chaos. Félicitations à tous les Burkinabé. Cependant cette joie ne doit pas cacher le fait que le prochain mandat présidentiel présente des défis à notre jeune démocratie. L’un de ces défis reste le retour de la société civile dans ses rôles régaliens, car ceux-ci ont été considérablement biaisés durant la transition. Pour l’heure, la société civile sort de la transition comme une substance cancérigène pour la jeune démocratie burkinabé.

Dans le modèle démocratique qui est proposé au Burkina Faso depuis l’adoption de la constitution du 2 juin 1991, la société civile occupe une place importante. En tant que corps social, et par opposition à la classe politique, la société civile regroupe l'ensemble des associations et organisations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif œuvrant pour le développement social et économique d’un pays. A ce titre, elle participe de l’enracinement de la démocratie au travers d’actions de sensibilisation, de veille citoyenne et de renforcement des capacités de développement. 

LA SOCIÉTÉ CIVILE TIRE SA LÉGITIMITÉ DANS SA CAPACITÉ A PRENDRE DE LA DISTANCE D’AVEC LE POLITIQUE

Mais en réalité, la société civile tire sa légitimité et sa force dans le fait qu’elle est une auto-organisation de la société, en dehors de tout cadre politique, administratif ou commercial. Cette légitimité fait d’elle un maillon essentiel du mouvement démocratique. En effet, étant éloigné de la sphère politique (dans la forme comme dans le fond), la société civile assure mieux son rôle de veille citoyenne.

Cependant, depuis la tentative de passage en force, extra-constitutionnel, du défunt régime Compaoré, un copinage s’est créé entre la société civile et les acteurs politiques (de l’opposition d’alors) pour  contrecarrer la forfaiture. Cette synergie d’actions, même si elle fut salvatrice pour notre démocratie sonnait en même temps le glas de la légitimité de la société civile burkinabé.

Au nom de la transition, la société civile burkinabé jadis forte de son union s’est scindée en particules politiquement actives. Des particules qui ont eu des points de chute différents.

DE LA SOCIÉTÉ CIVILE A L'EXÉCUTIF : UNE AVENTURE RISQUÉE !

Après le choix porté sur Michel Kafando pour diriger la transition post-insurrectionnelle, nous avons assisté à la mise en place d’un gouvernement multifacette. De grosses pointures de la société civile se verront appelés dans l’exécutif. Cette aventure politique d’acteurs respectés de la société civile, même si elle a suscité des espoirs, présentait un risque pour la reprise de la vivacité de notre démocratie après la transition. Aux termes de la transition, ces acteurs qui ont mis en jeu leur personnalité se voient comptables des succès mais aussi des échecs de l’exécutif de la transition. Quel impact cela aurait-il sur leur repositionnement dans notre système démocratique en tant acteurs de veille ?  Une question qui nécessite notre patience pour voir le processus de dépolitisation qui nous sera servi par ceux-ci.

QUAND LA SOCIÉTÉ CIVILE DEVIENT LÉGISLATRICE ET BIAISE D’AVANCE LES LUTTES CITOYENNES A VENIR

La forte implication de la société civile dans cette transition, c’est au Conseil national de la Transition qu’elle s’est le plus ressentie. 25 acteurs ont siégé comme législateurs de la transition. Qu’est-ce que cela implique comme précédent ? L’avenir nous le dira.

Jamais la société civile burkinabé n’est allée aussi loin dans son histoire. Voter des lois ! On dira que rien ne l’interdit, mais rien ne nous dit également que cela n’aura pas de conséquences sur la marche démocratique de notre pays. Quelle va être la qualité de la contribution de la société civile à la veille citoyenne au lendemain de la transition au regard de ce qu’elle aurait pu faire et n’a pas fait ou de ce qu’elle n’aurait pas dû faire et a fait ? Là également la question reste posée.

DES VEILLEURS-DÉCIDEURS, UNE AUTRE FACETTE DES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DURANT LA TRANSITION

Beaucoup ont dit que cette transition était celle des vainqueurs. Oui, c’est vrai ! Et c’est normal au regard du contexte dans lequel elle est advenue. Mais, du côté de la société civile, les vainqueurs étaient nombreux. Si nombreux que d’autres n’ont pas pris part aux organes de la transition. Seulement, leur implication dans le cadrage, le suivi et la défense de la transition s’est fait remarquer. Parfois hors de la courtoisie, surtout sur les réseaux sociaux. Du haut de leur tour de sentinelle, ils ont régné mais ils n’ont pas gouverné. Par moment, ils se sont mutés en avocats de la transition même dans ses dérives les plus compromettantes. Cette attitude de défendre l’indéfendable, en surfant parfois sur la diffamation compromet nécessairement l’avenir de militant de la société civile pour ces acteurs.

Cet argumentaire ne nie nullement le fait que le rôle de veille ait été assumé. Non. Cette tâche a été remplie mais avec moins d’intensité. La société civile, durant la transition, a été moins regardante sur certains deals politiques du fait de la trajectoire de ses visions qui était plus ou moins adjacente avec celle des organes de la transition. Cette partialité et ce manque de vigueur et de rigueur n’ont-ils pas apporté du discrédit à ces acteurs de la société civile ? Ces précédents ne constituent-ils pas des goulets d’étranglement pour le Burkina nouveau, plus démocratique, qu’on nous promet ?

SOCIÉTÉ CIVILE BURKINABÉ, A TON TOUR DE T’OUVRIR A L’ALTERNANCE

Au regard de ce qui précède comme analyse situationnelle, il est important, voir urgent que la société civile s’embarque dans une dynamique de refondation de la légitimité post-insurrectionnelle et post-transition au travers d’un renouvellement des acteurs de premiers plan. Cela est vital. Sinon nous prenons le risque de voir notre jeune démocratie, appréciée de par le monde être victime d’un malaise irrémédiable.

La société civile sort de cette transition grandie en expérience, mais aussi lourde de responsabilité car comptable de la définition de la trajectoire nouvelle de notre avenir national. L’urgence pour elle, c’est de se dépolitiser et de s’ouvrir à l’alternance. Si elle ne se dépolitise pas assez rapidement, si elle ne s’ouvre pas à une alternance au niveau de sa classe dirigeante, elle risquerait de cancériser notre jeune démocratie et provoquer sa mort en douceur. Espérons que nous n’en arriverons pas là !

Rodrigue HILOU

Sociologue

2 commentaires:

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  2. Hélas, beaucoup n'ont pas voulu le voir et refusent encore de le voir. Il suffit de regarder la trajectoire des leaders de la société civile depuis 2016...
    Plus édifiant encore, leurs louvoiements face aux menaces qui pèsent en ce moment même sur la CENI.
    L'opposition, face à son impartialité intransigeante se sent trahie par son président, issu lui aussi de la société civile mais qui l'a beaucoup pourfendue pendant de la trasition, leur laissant penser qu'il serait leur allié objectif à son nouveau poste; et les "transitaires"eux restent l'arme au pied car il ne lui pardonnent pas ses prise de positions de 2015...
    Ainsi va le Burkina !

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