vendredi 13 novembre 2015

SOCIOLOGIE BURKINABE, UNE SOCIOLOGIE SILENCIEUSE : DE LA NEUTRALITE AXIOLOGIQUE A L’AUTO-BAILLONNEMENT

Le sociologue a pour mission de rendre visibles et compréhensibles des phénomènes sociaux qui ne sont pas immédiatement apparents (Montoussé et Renouard, 2002) pour les acteurs sociaux. Cette mission qui lui est confiée, l’oblige à avoir une posture savante pour être une référence sur les questions relatives aux faits et actions sociales. Le sociologue est donc censé produire et tenir des discours sur ses domaines d’intervention. Mais à côté de cette mission, il y a aussi le devoir de respecter ce que Weber appelle la « neutralité axiologique ». Ce qui m’amène à analyser autrement le caractère silencieux de la sociologie burkinabé. C’est vrai, il y a les réalités externes à la communauté des sociologues de notre pays qui expliqueraient en partie cette situation (absence d'appui institutionnel, peu d'intérêt accordé à la discipline, etc.). Mais, l’important c’est de voir ce qui en son sein pourraient déterminer cette situation. La question que je me pose au départ de ma réflexion est la suivante : le caractère silencieux de la sociologie burkinabé est-il la manifestation d’une neutralité axiologique ou l’expression d’un auto-bâillonnement non assumé ?

Pour répondre à cette question à deux ouvertures, je vais aborder les deux éléments qui la composent en partant de deux hypothèses qui me serviront de supports d’analyse.

Hypothèse 1 : Le silence du sociologue burkinabé comme manifestation d’une neutralité axiologique béate


La neutralité axiologique est perçue par le sociologue allemand Max Weber dans « Le Savant et le politique » (1919), comme l'attitude du chercheur en sciences sociales n'émettant pas de jugement de valeur dans son travail. Cette situation pourrait conduire le sociologue à adopter un comportement de réserve pour ne pas rompre avec cette neutralité. Le plus souvent, le sociologue s’intéresse à des sujets qui affectent le quotidien des acteurs sociaux. Les conclusions auxquelles il parvient sont donc susceptibles d’interprétations diverses par ces acteurs sociaux, notamment ceux des bords politiques. 

Les sorties médiatiques des sociologues burkinabé qui sont des événements rares, voire très rares s’expliqueraient par un tel facteur. Pourtant, ces « intellectuels » savent que leurs discours objectifs et scientifiquement argumentés peuvent apporter des changements notables dans diverses sphères de la vie sociale, politique ou économique. En effet, si nous acceptons que le sociologue soit un « éclaireur » de la société, on est en droit de se demander, justement, « que vaut un éclaireur dont la lampe est cachée (de gré ou de force) sous le boisseau ? ».

La neutralité axiologique est plutôt orientée sur des jugements de valeurs et ne saurait interdire au chercheur de débattre à la lumière du jour sur les sujets qui le passionne encore moins d’avoir une opinion personnelle quant à l'objet qu'il étudie. L’apport du sociologue réside dans sa capacité à faire comprendre les phénomènes sociaux qui font notre quotidien. Il doit également amener les acteurs sociaux à prendre en compte ces résultats (ou pas) dans leurs actions individuelles ou collectives.

Ainsi donc, la distanciation sociale, même si elle doit être "déontologiquement" observée, elle ne saurait enlever au sociologue son statut d’acteur social qui doit participer à la vie de son quartier, de sa communauté, de sa société, de sa nation, etc. La neutralité axiologique ne commande donc pas au sociologue de rester muet. Mais d’éviter toute prise de position qui pourrait affecter son rôle de « savant ». Ainsi donc, le silence actuel du sociologue, face à la montée en puissance de problèmes sociétaux, pourrait tout aussi discréditer sa noble discipline, car sa valeur ajoutée ne serait plus perceptible dans la société.

Hypothèse 2 : Le silence du sociologue burkinabé comme expression d’un auto-bâillonnement inavoué ?


Et si le sociologue burkinabé avait choisi lui-même de rester muet pour d’autres raisons inavouées ? Cette question me semblait absurde au départ. Mais, après je me suis rendu compte qu’elle mérite d’être posée. Il s’agit ici de rechercher à l’intérieur même de la communauté des sociologues d’autres facteurs qui pourraient expliquer cette situation de silence. Au nom du « on ne nous donne pas la parole », les sociologues semblent justifier leur propre démission du débat public. Qui ne donne pas la parole au sociologue ? Ou plutôt qui devrait la lui donner ? A ces questions je ne saurais donner réponses. Mais je répondrai plutôt à une autre : Le sociologue cherche-t-il à se faire entendre ?

A observer l’espace public burkinabé, l’absence des sociologues, du moins sous leur casquette de scientifiques, reste un fait criard. Tout nous conduit vers une explication basée sur le mutisme de ce groupe de scientifiques incontournables, parfois « loquaces » souvent « invisibles ». Le sociologue, cherche et le plus souvent trouve, mais il ne communique que par moment ses résultats. Sur les questions urgentes du pays, la parole n’est pas « donnée » au sociologue (je l'accepte), mais lui non plus ne l’"arrache" au regard de son rôle de médecin du social (s’intéresser aux faits sociaux qui relèvent du pathologique: Durkheim). 

Loin de s’apparenter à une exclusion du sociologue du débat public national par X ou Y personnes, le silence de ce dernier renvoie plutôt à une démission qui n'est pas assumée. autrement dit, un "auto-bâillonnement" inavoué. Or, le scientifique n’est pas fait que pour chercher, toujours chercher, encore chercher. Il doit également avoir un temps de partage avec ceux qui ont besoin de ses savoirs et de ses résultats. Il doit les rendre accessibles et digestes.

Si la deuxième hypothèse s’avère vérifiée, je suis en droit (mais en toute modestie) de dire aux sociologues burkinabé qu’il est temps pour eux, toutes générations confondues, de sortir de leur mutisme injustifié et injustifiable pour donner de la voix dans cette cité en souffrance. Ce n’est pas qu’un droit à faire valoir mais c’est aussi et surtout un « devoir ».


Rodrigue Hilou

LA COP21: ALLONS-NOUS VERS UNE ÉNIÈME PARODIE DES GRANDES PUISSANCES SUR LES QUESTIONS DE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?

Au lendemain des élections couplées du Burkina Faso, pendant que nous serons dans l'attente du nom de notre prochain président, le monde entier aura le regard tourné vers la France. Eh oui! Rfi, n'aura pas que notre élection à couvrir. Ce jour 30 novembre 2015, s'ouvrira, à Paris, la 21e conférence des parties (COP21) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Au regard des enjeux d'une telle rencontre, une question me titille l'esprit. Cette COP est-elle à mesure de répondre aux espoirs qu'on lui porte?

Depuis 1972, avec la première assise internationale sur l'environnement et le climat à Stockholm, les questions climatiques mondiales deviennent des préoccupations internationales. Les différentes parties prenantes de cette conférence se réunissent annuellement depuis 1997 pour décider des mesures à mettre en place pour limiter le réchauffement climatique à seulement 2 °C.

L’humanité réunie autour de cette convention reconnaît donc, depuis 1972, l'existence d'un changement climatique d'origine humaine. La COP, dans une vision équitable, donne aux pays industrialisés le primat de la responsabilité pour lutter contre ce phénomène. La logique du « grand pollueur, grand réparateur ».

L'objectif de la conférence de Paris est « d'aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d'impulser/d'accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone ». Projet chimérique ? Suis-je tenté de me demander. Cette question reste posée et justifiée. En effet, même si la COP 21 impose à chaque pays de « préparer et publier en amont de la COP21 une contribution qui présente un plan de travail concret à même de permettre à l’État concerné de faire sa part au sein de l’effort universel », des inquiétudes demeurent.

D’abord, face à la montée en puissance des enjeux et compétitions économiques entre les grandes puissances, la volonté des pays émergents à stabiliser leurs économies montantes, il y a le risque que cette COP de l'espoir soit une énième parodie de ces grandes puissances, qui préfèrent toujours réparer, voir indemniser les populations affectées, que prévenir le réchauffement climatique en jouant sur leurs économies, certes brillantes, mais en souffrance. Déjà, la COP21 doit amener les pays développés à mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, via le Fonds vert pour le climat pour aider les pays en voie de développement à lutter contre le dérèglement climatique. Cela peut bien être une brèche pour les grandes puissances pour jouer aux « irresponsables » bailleurs de fonds.

Un autre point d’inquiétude est que l'accord censé entrer en vigueur en 2020, devra à la fois traiter de l'atténuation — la baisse des émissions de gaz à effet de serre — et de l'adaptation des sociétés aux dérèglements climatiques existants et à venir. Autrement dit, il s'agira de trouver un équilibre entre les besoins et les capacités de chaque pays. Ce qui ramènera sur la table l'éternel débat sur la répartition de l'effort entre les émetteurs historiques (USA, France, Angleterre, Allemagne, etc. et les économies émergentes (BRICS). La COP21 aura la lourde tâche d'aborder ce point sensible dans les négociations. Comment négocier une diminution équitable et non égalitaire de la production des gaz à effets de serre entre pays dits super-industrialisés et les nations émergentes ?

Loin de m'enfermer dans ce schéma binaire de la responsabilité des Etats pollueurs, je trouve que la question du changement climatique relève plutôt de la morale. Aucune rencontre ne saurait contraindre des pays qui n'ont pas la même morale sur l'environnement à adopter des principes universels qui vont les gouverner. Je suis pessimiste, car la solidarité face au changement climatique dépasse les notions apprises dans les plus grandes écoles de diplomatie et relations internationales.
Le problème il est moral et la solution ne peut qu’être morale. Si une solution devrait venir de simples accords diplomatiques, sans cette dose de morale qui redéfinit les contours de la solidarité internationale, alors il faut s'attendre à des non-respects des clauses pour des questions économiques futures. C’est-à-dire la manifestation de l’hypocrisie internationale.

J'évoquais dans un de mes écrits la nécessité de redéfinir les contours de la communauté internationale qui est justement en passe —s’il elle ne l’est déjà— d’être hypocrite(http://chroniquepolitiqueetsociete.blogspot.com/2015/10/trajectoire-actuelle-de-la-communaute.html). L’humanité doit d’abord parvenir à créer une solidarité vraie entre les peuples et les Etats. C’est la condition pour aller vers un vivre ensemble qui intègre des valeurs humaines et une morale partagée et assumée ensemble.

Une fois de plus, je persiste: seule une solidarité internationale, basée sur une morale et des valeurs qui transcendent les ego des grandes puissances pourrait apporter secours à notre monde engagé dans l’autodestruction depuis la période de l'industrialisation. On est pourtant loin d’une telle réalité (solidarité internationale non hypocrite) car c’est l’économie qui gouverne le monde. A moins qu’il n’y ait un changement brusque de la trajectoire actuelle du système économique mondial. Ce système irresponsable qui détruit tout au nom d’un présent meilleur qui passe sans être meilleur. Ce miracle est-il pour demain ?

Rodrigue Hilou