vendredi 9 octobre 2015

LA COMMUNALISATION INTÉGRALE AU BURKINA FASO : OUI ON PEUT REFUSER DE FAIRE LES MÊMES ERREURS !

Siège de la Mairie de la commune rurale de Bana dans la province des Balé
Crédit photo: 
lefaso.net
La décentralisation en tant que choix politique est devenue une option largement répandue depuis la
fin du siècle dernier dans divers Etats africains. Elle se veut un système de dévolution de pouvoir de l’Etat central vers des structures situées à des échelons inférieurs. Aussi, se définit-elle comme étant un instrument de la démocratie et de la participation citoyenne à la gestion des affaires locales.

Le Burkina Faso, depuis l’adoption de la constitution du 02 juin 1991, a choisi comme fer de lance de son développement, la démocratie. Cette entreprise qui venait de rompre avec la période révolutionnaire ne s’y opposait pourtant
pas dans le fond car, elle entendait créer plus de responsabilisation du citoyen et redonner force au peuple.

En 1995, après le constat fait de la faiblesse du pouvoir central à mieux se pencher sur les questions de développement local, le pays tenta sa première expérience de décentralisation formelle. Les Textes d’Orientation de la Décentralisation (TOD) de 1998 viendront apporter une grande contribution à l’enracinement du processus de décentralisation au Burkina Faso. Ils conduiront le pays à une loi référentielle en 2004 portant Code général des collectivités territoriales (CGCT), puis à la communalisation intégrale en avril 2006.

Dès lors, le citoyen est plus que jamais vu, non plus comme simple bénéficiaire du développement, mais aussi et surtout comme acteur et co-auteur du développement. Le vieux concept de la participation sera ainsi resservi dans de nouvelles bouteilles, appuyé par des discours développementalistes associant la responsabilisation de la base. La pleine participation du citoyen à la gestion des affaires locales devient alors le maître-mot.

Jadis vue comme un outil de performance dans le cadre des projets de développement rural, la participation, à travers la décentralisation, a pris une forme plus formelle dans le cadre des réformes politiques majeures induites par l’avènement de la démocratisation.

Pour le milieu rural où les enjeux du développement se posent avec acuité, une adéquation des actions de développement local avec les besoins réels des populations peut être un indicateur de succès incontestable. Avec le premier mandat post-communalisation intégrale, l’attente d’un mode de gouvernance locale conciliant besoins des populations et actions des gouvernants locaux a été vaine.
 
La logique qui sous-tendait les promesses de la décentralisation, reposait sur trois éléments essentiels à savoir : la démocratie qui s’observera par une plus grande participation à la prise de décisions publiques, l’équité au sein des entités territoriales locales à travers une répartition démocratique des bénéfices tirés des activités locales et l’efficacité, c’est-à-dire l’efficacité économique et managériale (Ribot, 2007).

Malheureusement, avec le projet de communalisation intégrale mal planifié et mal exécuté, le pays s’est retrouvé dans une vaste entreprise de politisation du développement local. Plutôt que de booster le développement par la base, notre logique de décentralisation créa des goulets d’étranglement de l’émergence d’un développement pour tous et par tous. Or, la décentralisation est censée être émettrice d’une démocratie nouvelle qui doit permettre une plus grande responsabilisation des populations, surtout celles les plus actives.

Au travers de la communalisation intégrale, l’espace public local devrait être l’espace d’où émanent les politiques de développement par le biais de la concertation à tous les niveaux. Car, atteindre les objectifs de la décentralisation dans nos campagnes devra nécessairement passer par une implication des citoyens ruraux dans la définition des politiques publiques locales. Nécessairement.

Le processus de communalisation rurale est caractérisé par une faible appropriation des enjeux de ce projet hâtif par les citoyens ruraux. Cette faible préparation de la base faisait de la communalisation intégrale un projet mort-né. Loin de susciter l’adhésion populaire, ce projet à créer par le biais des partis politiques des fractures sociales énormes en milieu rural. Aussi, se fait-il le constat d’un assistanat chronique causé par la faiblesse des capacités de mobilisation financière à titre propre de la majeure partie des communes rurales.

Le développement participatif chanté sur toutes lèvres entre 2004 et 2006 demeure toujours une profession de foi. La pratique est tout autre. Ce sont des maires, se croyant au-dessus de tous les villageois et se mettant à prendre des décisions pour tous, qui pullulent nos communes rurales.

L’opacité est le maître mot dans la gestion des affaires locales. Les femmes et les jeunes sont moins consultés par le politique. Le conseil municipal s’apparente à un lot de marionnettes aux ordres de « monsieur le maire ». Dans de telles conditions, à quand le développement local participatif ? A quand la matérialisation du projet de communalisation intégral salvateur, intégrateur d'une nouvelle forme de démocratie, pour soutenir le développement ?

La question reste posée. Il est donc impératif, au moment où s’écrivent les nouvelles pages d’un « nouveau Burkina », que soit mis sur la table cette nébuleuse question des communes rurales comme vecteur du développement local. Il faut qu’on reparte sur de nouvelles bases pour une citoyenneté rurale plus responsable. Oui il le faut! Surtout, pour ne pas faire les mêmes erreurs!

Rodrigue Hilou

rodhilou13@gmail.com

mardi 6 octobre 2015

LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE: ET SI ON INVESTISSAIT DANS LE RURAL?

Champ de mais dans l'Ouest du Burkina Faso/Crédit photo: Rodrigue Hilou
Les programmes d’ajustement structurels mis en place en Afrique sous l'égide du FMI et de la Banque Mondiale depuis le début des années quatre-vingt ont négligé le rôle central des petites agricultures paysannes africaines (Daniele Clavel et all, 2008).

Aujourd’hui, le milieu rural africain fait face à d’énormes difficultés. Des changements climatiques à la baisse de la productivité, en passant par la pauvreté et les faibles capacités technique et matérielle, les ménages ruraux semblent être dans l’impasse. L'agriculture familiale qui constitue le garant de notre souveraineté alimentaire voit ses forces s’amenuiser. Un des défis majeurs du monde rural de nos jours est de se nourrir lui-même d'abord.

Pourtant, de nombreuses études démontrent qu'il existe un véritable potentiel de production agricole en Afrique de l’Ouest insoupçonné et peu ou mal exploité. Le levier pour que les paysans puissent valoriser ce potentiel est l’accès à des moyens de production et à de nouvelles technologies adaptées (qui ne doivent pas être forcément importées). C’est sur de tels chantiers que devaient s’atteler nos politiques depuis l'accession à l'indépendance.

Seulement dans un besoin de paraître comme l'occident nos maigres budgets sont absorbés par des dépenses superflues pour le continent. Les politiques agricoles développées en Afrique de l'Ouest francophone n'ont égale que leur inadéquation manifeste avec l'urgence du terrain. Le rural n'a pas besoin d'une politique d'assistance mais d'une politique d’accompagnement marqué par les investissements publics et privés. Ce n'est pas un fait du hasard si le boom agricole a précédé l'industrialisation en Europe.

Investir dans le rural pour le dynamiser et accroître la production agricole, c'est investir pour l'avenir de nos Etats majoritairement ruraux. Si nos pays sont qualifiés de pays en "voie" de développement, et que nous voulons assumer ce statut, alors il faut également reconnaître que cette "voie" c'est le rural.

Si nous n'acceptons pas notre réalité, qui est que notre développement doit passer nécessairement par la surproduction agricole, alors nous sommes mal partis. C’est seulement une surproduction agricole qui pourra booster le secteur industriel, surtout celui de la transformation. Par ricochet on verra s’accroître la demande de main d'œuvre et du même coup une réduction du chômage des jeunes et des femmes qui n’aura plus un visage rural.

Pour se développer on ne caracole pas. Quand on est sur la bonne voie cela se sent. Les Cas du Japon et de la Chine sont des exemples vrais qui sont les plus proches dans l'histoire. L'Afrique doit se convaincre d'elle même qu'elle "force"  son développement. Ce sentiment de "forcer" est normal car on est sur les traces de l'occident, une voie qui n'est pas la nôtre. On navigue à vue, on essaie et réessaie tout et dans tous les sens. Il est temps de faire un arrêt salvateur et de se poser les bonnes questions pour repenser le développement.

L'urgence de repenser notre développement se justifier par la maligne confusion qui veut que "se développer" soit "s'occidentaliser". C'est là l'erreur. Nous sommes sur un continent propices à l'enracinement d'une économie basé sur le secteur rural (agriculture, élevage, artisanat, pêche, etc.) et il faut en profiter. Avec la fertilité de nos terres et l'ingéniosité de nos populations ont peut dominer l'économie mondiale. Ce qui manque c'est le courage de s'assumer devant l'histoire comme certains peuples l'ont fait.

L'économie rurale est souffrante mais ses potentialités, elles, n'ont point diminué. Il est temps d'apporter les vraies réponses au mal du milieu rural dans son ensemble en le regardant comme l'espace d'une économie complexe pouvant être -et c'est sûr- le moteur de notre développement, le vrai.

lundi 5 octobre 2015

CHRONIQUE D'UN COUP D'ÉTAT "SALVATEUR"

La jeunesse ouagalaise en liesse
 Crédit photo:Le monde.fr
La tentative du coup d'État de l'ex Régiment de Sécurité présidentielle (RSP), enclenchée le 16 septembre 2015, vient de prendre officiellement fin ce jeudi  01 octobre 2015. Elle s'est soldée par l'échec le plus lamentable : le déshonneur et la réprobation. Le peuple burkinabé a clamé une fois de plus son attachement aux valeurs démocratiques, à la justice et à l'État de "droit". Il a obtenu, au prix de vies inutilement fauchées, en affrontant dans les rues de Ouagadougou, les balles meurtrières de ce « Régiment de Soldats Putschistes » et avec l'appui des forces armées nationales, le maintien de la transition et la reddition des putschistes. Quelle victoire !
Le mercredi 16 septembre 2014, dans la matinée, seuls le RSP et ses acolytes politiques savaient ce qui allait secouer le Burkina Faso dans l’après-midi. Tous les Burkinabé avaient les yeux rivés sur le lancement prochain de la campagne politique pour la présidentielle du 11 octobre 2015. Malheureusement, le processus électoral va subitement connaitre un coup d’arrêt forcé.

Emprunter un chemin sans issue

Le mercredi est le jour traditionnel du Conseil des ministres hebdomadaire du Burkina Faso. Tout se déroulait normalement jusqu’aux environs de 14 heures, heure à laquelle les éléments du RSP ont investi la salle de Conseil des ministres de Kosyam. Ils prennent en otage les sieurs Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida, Augustin Loada et Réné Bagoro, respectivement président du Faso, Premier ministre, ministre de la Fonction publique du Travail et de la Sécurité sociale. Très rapidement, l'information est distillée : le gouvernement de la Transition est pris en otage par le RSP. « Est-ce une énième expression d'humeur de ce régiment tant méprisé par tous ? » ou « est-ce un Coup d'État » ? Voici les deux questions qui traversaient tous les esprits. Hélas, pas de temps pour chercher réponse, c'est l'appel à descendre dans les rues pour dire non à la prise d’otage. Malheureusement, les militaires empêchent les manifestants de se réunir par des tirs à balles réelles et des chasses poursuites dans les rues de Ouagadougou. Cette nuit de mercredi va être longue. Le sang va même couler.

Le lendemain jeudi 18 septembre 2015, le peuple burkinabé, révolté, va être situé : il s'agit bien d'un Coup d'État. L’annonce est faite à la télévision nationale par le médecin colonel Mamadou Bamba, alors porte-parole des putschistes. Il annonce l'instauration du Conseil national de la Démocratie (CND) et la dissolution du gouvernement ainsi que du CNT.

Par la suite, quatre autres communiqués suivront, avec un chapelet de mesures parmi lesquelles le choix du Général Gilbert Diendéré comme président du CND. Le masque est tombé. Le peuple découvre enfin son bourreau. C'est donc lui le putschiste : le général super homme. Cet homme du silence a décidé de sortir du mutisme pour parler avec les armes.

Pour un militaire de son rang on est tenté de dire : quelle absurdité ! Mais, au-delà de son caractère absurde, ce coup d'État venait donner l'occasion au vaillant peuple burkinabé, en marche vers son développement, de parachever sa révolution d'octobre 2014. C'est-à-dire, obtenir la dissolution de ce régiment qui ne faisait plus ou pas la fierté du pays de Thomas Sankara. C’était l’occasion ultime d’en découdre avec un régiment dont les compétences tant clamées dans le pays et dans la sous-région n'avaient d'égales que les bavures et les basses besognes qu’il exécutait en arrière-plan du jeu politique au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest de façon générale. Le RSP venait de s’engager dans une voie sans issue, ou plutôt avec pour seule issue sa propre dissolution.

Un militaire tacticien de l’époque de l’analogie face une jeunesse révoltée de la génération des réseaux sociaux

Le jeudi, sans attendre une quelconque condamnation ou intervention de la communauté internationale, le peuple burkinabé, surtout sa frange jeune, avec pour seule arme sa détermination, va engager le combat. Un combat dans un rapport de force certes déséquilibré, mais justifié, au regard de cette forfaiture indigne du pays des Hommes intègres.

Dans toutes les régions du pays, avec le concours des technologies de l'information et de la communication (sites internet, SMS, appel téléphonique, réseaux sociaux notamment Facebook) la mobilisation est lancée. Le peuple n'a qu'un seul désire, que son armée loyaliste vienne à son secours et désarme ces malheureux putschistes. Les premières heures de résistance s’organisent dans les rues du centre-ville, à la place de la révolution notamment. Mais les manifestants seront vite refoulés dans les zones périphériques telles Tampouy, Gounghin, Pissy, Wayalghin et Kossodo. Le décompte macabre commence dans le rang des manifestants sur presque tous les fronts de la capitale. Malgré tout, la détermination du peuple est restée intacte. Les manifestants luttaient de toutes leurs forces quand bien même leur impuissance face à cette horde de criminels était un fait. Chaque image de blessés ou de cadavres de manifestants postée sur les réseaux sociaux, au lieu d’être une source de démotivation du peuple, ne faisait que grandir les rangs des résistants. Des résistants qui, galvanisés par le slogan "la patrie ou la mort nous vaincrons", étaient prêts à aller jusqu’au sacrifice ultime.

Avec les smartphones en main, la lutte devenait mieux organisée. Les positions de l’ennemi étaient connues à la minute près. Cela a permis d’éviter le massacre massif des manifestants. Egalement, chaque recul des putschistes était mis à profit pour faire des barricades servant à les ralentir. Des consignes d’attaque et de défense face aux militaires rebelles étaient données et partagées sur Facebook. Il y a eu du succès avec cette stratégie de communication. Des véhicules vont être abandonnés par les putschistes, les pannes d’essence vont se faire remarquer. Les jeunes militaires du RSP, de la génération Facebook voient circuler sur Facebook leurs photos et vidéos dans des actions répréhensibles. Alors, ils décident de porter des cagoules. Les cameramen, les journalistes et les manifestants se servant de smartphones pour filmer ou photographier étaient devenus les cibles prioritaires des assaillants. Le combat était toujours déséquilibré et en défaveur des manifestants, mais la peur elle semblait s’équilibrer entre les deux camps.

Le vendredi 19 septembre 2015, la répression barbare des soldats putschistes du RSP va continuer à faire des victimes. Les blessés jonchaient les couloirs de l'hôpital Yalgado. Des corps de manifestants commençaient à être dénombrés à la morgue. Les radios ne fonctionnaient plus, seuls l’internet et les réseaux mobiles demeuraient les principales sources d’information des manifestants. Les voix des leaders de la manifestation étaient toujours entendues sur le terrain, leurs post étaient relayés automatiquement sur la toile. Cela donnait du courage aux résistants.

D’autres jeunes, assis chez eux participaient à la lutte à travers les réseaux sociaux. Faire connaitre ce qui se passait dans les rues de Ouagadougou était un autre chantier du combat. Il fallait rendre le monde entier témoin des horreurs qui se passaient au Burkina Faso. Il y avait des post d’encouragement des résistants des autres régions du pays mais aussi les post de découragement des pro-putschistes. Le combat se menait donc sur tous fronts de la communication via internet.

Une médiation sous-régionale mort-née qui tente de passer au forceps

Au regard du climat délétère qui caractérisait les rues de Ouagadougou et les autres villes du pays, la CEDEAO a trouvé en cette crise l'opportunité de redorer son blason et se procurer le respect du peuple burkinabé en considérant ce putsch comme l'expression d'une fracture sociale et politique énorme. Que nenni. La société civile dans son ensemble a qualifié cette sortie de la CEDEAO, sous l'égide du président sénégalais Macky Sall, de "honteuse" pour l'Afrique. Les raisons étaient simples.
Pendant que l’Union africaine, restant attachée aux valeurs et principes démocratiques, manifestait sa solidarité avec le peuple burkinabé, La CEDEAO, elle, s’adonnait à un jeu diplomatique dangereux entamant sa crédibilité et son impartialité. En effet, l’UA a vite fait de condamner fermement ce putsch dès ces premières heures en la qualifiant au passage d'acte terroriste. Dans la même dynamique, l'ONU et l'UE (notamment la France) vont condamner à leurs tours cette forfaiture. Mais, le peuple burkinabé va attendre vainement l’expression de la position de sa « communauté » jusqu’à l’annonce d’une médiation pilotée par le président en exercice de la CEDEAO, le président sénégalais Macky Sall.

Malheureusement, cette médiation de la CEDEAO, dépourvue d'une position claire et ferme vis-à-vis du coup d'État de Gilbert Diendéré et son RSP, va connaitre un échec dans sa forme comme dans son fond.

Dans sa forme parce que la médiation a omis de respecter certaines mesures protocolaires vitales pour une médiation impartiale et professionnelle. En effet, l'accueil que leur a accordé le Général putschiste (honneur militaire, revue des troupes et hymnes nationaux) mettait les médiateurs dans une position incommode pouvant tourner difficilement en faveur de la démocratie. Ensuite, la communication a, elle aussi, été mal conduite, offrant peu de place aux véritables acteurs de la transition dans les discussions. La conséquence immédiate de tels manquements dans la forme va être la proposition d’un projet de protocole d’accord caduque et insultant pour le peuple burkinabé. Les ingrédients pour un échec dans le fond étaient donc réunis.

Dans le fond, on peut dire que la médiation, annoncée en grande pompe, va accoucher dans la suite 1 006 de Laïco Hôtel d'une petite souris. Il s’agit là du pseudo-projet d'accord de sortie de crise, qui va créer plus de divisions  que de rapprochements  des positions, proposé par Macky Sall, Boni Yayi et le président de la commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo. Les lignes du projet d'accord proposent la reprise de la transition, l’inclusion des pro-Compaoré exclus par le Conseil constitutionnel dans les courses électorales présidentielle et législatives, et l’amnistie pour les putschistes. Le Général putschiste se taillait ainsi la part du lion.

La CEDEAO a ensuite appelé les parties prenantes à rester à l'écoute des conclusions du Haut conseil de la CEDEAO qui allait se tenir le mardi 22 septembre 2014.

Un shérif pour diriger la résistance

Face à l'échec annoncé de la médiation et sans attendre les conclusions du Haut conseil de la CEDEAO, le peuple burkinabé, sous les ordres du président du Conseil national de la Transition et président par intérim du Faso, Cherif Sy, va activer un autre champ de bataille, celui de la résistance dans les rues. Au regard de la situation de déséquilibre des forces entre les populations mains nues et les militaires putschistes à Ouagadougou, les populations des autres régions vont exiger avec grande pression que l'armée prenne ses responsabilités.

Les organisations syndicales menaient la résistance sur le chantier de la grève pour paralyser le pays. Elles vont maintenir leurs mots de grève lancés au lendemain du putsch jusqu’à nouvelle ordre. L'économie du pays est à genou. Plus rien ne fonctionne.

Plusieurs partis politiques appellent leurs militants à la désobéissance civile et condamnent le putsch. Les ex partis de la majorité vont rester dans un silence coupable et/ou faire des sorties déplacées et laudatives du coup d’État.

Cherif Sy s'étant investi des prérogatives de chef d'État, Chef suprême des armées, va appeler toutes les régions militaires à monter sur Ouagadougou et à désarmer par tous les moyens le RSP, désormais considéré comme une force rebelle.

Le lundi 21 septembre 2014, le Chef d'état-Major Général des Armées, le Général Pingrenoma Zagré est mis devant ses responsabilités. Il doit agir. Il appelle les chefs militaires à faire mouvement sur Ouagadougou pour mettre fin à la souffrance du peuple. Les garnisons de Bobo-Dioulasso,de Dédougou, de Kaya, de Ouahigouya et de Fada N’gourma sont mobilisées pour venir désarmer le RSP. Toutes les populations sont en liesse. L'engagement de l'armée "loyaliste" aux côtés de son peuple sonnait comme les prémices d'une victoire assurée contre les putschistes. Tous les bataillons vont gagner la ville de Ouagadougou dans la soirée du lundi. Le premier ultimatum est lancé au RSP pour déposer les armes avant 20 heures.

Le mardi 22 septembre 2014, la capitale est encerclée par les soldats loyalistes. Le RSP maintient ses postes stratégiques que sont la RTB, le conseil de l'entente, Kosyam et le camp Naaba Koom. Les deux parties s'engagent dans une communication militaire que ne comprend nullement la population, las d'attendre. « A quand l’assaut final ? » se demandait- -on sur les réseaux sociaux. Les croyants redoublaient d’efforts dans leurs prières pour éviter que le sang de Burkinabé ne soit versé par d’autres Burkinabé. Ou au pire des cas, que les dégâts soient limités.

La fin du mythe RSP : le coup d’état de l’autodestruction, une mission de trop !

Cette mobilisation des forces armées loyalistes, doublée de la condamnation unanime et ferme de la communauté internationale (excepté la CEDEAO alors), va entraîner des défections au sein du RSP. Un deuxième ultimatum est donné aux putschistes pour déposer les armes, cette fois-ci c’était pour 10h00.

Le général putschiste devant la pression ne capitule pas. Il ne panique même pas. Il convoque une conférence de presse pendant laquelle il joue la carte de la diplomatie miliaire. En effet, il dit s'en remettre aux conclusions du sommet des chefs d'États de la CEDEAO à Abuja, au Nigéria, sur la situation burkinabé. Aussi, atteste-t-il que des pourparlers étaient en cours avec les hauts responsables de l’armée pour trouver une issue heureuse à cette crise. Mais, il a affirmé par ailleurs que pour l’heure, lui et ses hommes seraient prêts à se défendre si leurs positions étaient attaquées par les forces loyalistes.

Le mardi soir, les conclusions de la CEDEAO sont enfin connues. Les putschistes n'ont plus de soutien. La seule institution internationale qui s'était désolidarisée des aspirations du peuple burkinabé venait de rejoindre le camp de la démocratie en condamnant officiellement le putsch. Mieux, elle va exiger (mieux vaut tard que jamais) la restauration de la transition et remettre les autres décisions au peuple et aux autorités burkinabé.

La CEDEAO n’a pas manqué de clamer la nécessité d'empêcher une guerre civile avec le déploiement d'une force militaire d'interposition de la CEDEAO. Mais une fois de plus, face au désaveu total du peuple burkinabé relatif au projet d'occupation militaire de sa capitale par une force sous-régionale, la CEDEAO va céder. Néanmoins, elle va chercher à jouer sa carte de légitimation en choisissant cette fois-ci d'abandonner le Général putschiste à son sort. C'est la fin annoncée du putsch.

Ainsi donc, sept jours ont suffi. Sept longues journées faites de mort, de blessures, de sueur, de larmes et de peur. Sept longues journées faites de courage, de détermination, de résistance, de combativité et de diplomatie. Sept longues journées ont suffi pour arrêter cette forfaiture du militaire le plus « fort » et le plus « renseigné » de la sous-région ouest africaine.

Le mercredi 23 septembre 2014, tôt le matin, les Burkinabé qui ont dormi la nuit se sont réveillés dans un climat marqué par le processus de reddition du RSP. Tard dans la nuit du mardi, un accord fut signé chez le Moogho Naaba, chef suprême des moosé, entre le RSP et les hauts gradés de l'armée loyaliste. Egalement, cette journée du mercredi va marquer le retour officiel de la transition avec une cérémonie officielle de "reprise" du pouvoir par Michel Kafando. La CEDEAO est l’organisateur et l’invité d’honneur de la cérémonie avec la présence des présidents du Niger, du Ghana et du Bénin et du représentant du chef d'État Nigérian empêché.

Le même jour, le Général putschiste de son côté regrettait déjà son acte et s’était dit prêt à se mettre à la disposition de la justice burkinabé. Il disait assumer pleinement les responsabilités de ce putsch qu'il avait pris le soin de condamner lui-même au passage.

Après sept jours de tension, l'accalmie régnait à Ouagadougou. Le Burkina Faso, revêtu d'une transition moins lourde, débarrassé de ses goulots d'étranglement militaro-politiques, s'acheminait, lentement mais sûrement et dans la plus grande prudence, vers son renouveau démocratique.
Le peuple burkinabé a vu son calendrier électoral être bouleversé. Mais, les partis politiques se sont mis en ordre de bataille pour les trois consultations électorales à venir, présidentielle couplée avec les législatives et municipales prévues pour plus tard.

Une issue heureuse marquée par le scepticisme

Le vendredi 25 septembre 2015 un conseil de ministre extraordinaire a décrété la dissolution du RSP et ordonné son désarmement. Cet ordre gouvernemental était en pleine exécution quand les soldats du RSP opposèrent subitement une résistance injustifiée le dimanche 27 septembre 2015. Ils rompaient ainsi toutes les closes de l’accord de désarmement se déclarant « trahis » par le gouvernement. Désormais, cette force rebelle se disait prête à mourir au combat plutôt que de se laisser désarmer par la transition.

Le 28 septembre 2015, un autre conseil des ministres extraordinaire s’est tenu pour se pencher sur la situation des forces rebelles de l’ex-RSP. Toute idée de dialogue avec les putschistes « récalcitrants » est abandonnée par le gouvernement de transition. Une déclaration sortira de ce conseil de ministre pour accuser le général putschiste de préparer une déstabilisation du pays avec l’appui du général Djibril Bassolet, recalé dans la course aux présidentielles par la cour constitutionnelle. Cette déstabilisation, semble-t-il, était préparée avec des forces étrangères et des djihadistes. Un communiqué du chef d’état-major général des armées appelle les populations « à être prêtes à appliquer les consignes de sécurité » qui leurs seront données par les Forces armées nationales (FAN). C’est le début des opérations militaires contre le camp Naaba KoomII.

Le 29 septembre 2015, la population burkinabé et particulièrement celle ouagalaise va vivre une longue journée. Celle de « l’assaut final ». Appelée à rester chez eux, au réveil, les résidents de la zone de Ouaga 2000 vont vivre la psychose de la longue attente. A quand l’assaut ?

Sur les réseaux sociaux ça bouillonne. Les informations fusent de partout : « Le conseil de l’entente », ex position des rebelles, est entre les mains des FAN » ; « Les FAN ont encerclé le camp Naba Koom » ; « Djibril Bassolet est arrêté par la gendarmerie » ; « Le capitaine Dao s’est remis à la gendarmerie » ; etc. Les rues étaient presque vides. Quelques commerces fonctionnaient les quartiers loin de Ouaga 2000. Les populations cloitrées chez elles suivaient les informations à la télévision ou sur le Net.

Autour de 16h45, une détonation forte se fait sentir dans les environs de Ouaga 2000. C’est la débandade dans les quartiers situés dans les encablures de Ouaga 2000. Que se passe-t-il ? se demandait-on. Est-ce une riposte des forces rebelles ou une attaque des FAN. Sur les réseaux sociaux la nouvelle se repend. C’est « l’assaut » des FAN sur le camp Naaba Koom. Enfin !

Des tirs d’armes lourdes vont retentir encore et encore. Sur les réseaux sociaux l’information est lancée, le général putschiste est sorti de sa tanière à la recherche d’un lieu sûr pour ne pas « mourir ». IL acordera dans la foulée des interviews téléphoniques à des médias privés pour appeler ses soldats « indéfectibles » à déposer les armes. Il trouvera refuge plus tard à la nonciature apostolique sis à Ouaga 2000.

Peu après 18 heures, le camp Naaba Koom est libéré. Le président Kafando y fait une visite pour rassurer la population du succès de l’opération. Son interview à chaud va susciter joie et scepticisme. En effet, comme bilan de l’assaut le président annonce la prise en main du camp Naaba Koom II et cerise sur le gâteau, avec « zéro victime ». Trop beau pour être vrai. Les Burkinabé restent, jusqu’à l’heure, partagés entre la joie et le scepticisme. Les tirs étaient trop violentes pour se solder par « zéro victime » se disaient certains. Mais l’information officielle était que les roquettes lancées depuis le camp Sangoulé Lamizana sis à Gounghin visaient à effrayer les rebelles et non à les abattre. Les tirs auraient donc visé des espaces vides au sein du camp.

Dans l’attente d’une justice forte, impartiale et professionnelle

Les Burkinabé n’avaient pas le temps de mener un débat sur le bilan de l’assaut car le général était toujours à la nonciature. Tout le monde attendait son arrestation. Le Jeudi, après de longues discussions entre personnes ressources à la nonciature, le général Diendéré sera finalement mis aux arrêts vers 14 heures. Cette arrestation marqua la fin véritable du putsch. D’autres arrestations suivront pour mettre sous les verrous tous les potentiels acteurs militaires et politiques du coup d’État manqué. Les Burkinabé attendent maintenant que la justice fasse son travail et que toute la lumière soit faite sur ces événements qui ont secoué le pays en ce mois de septembre 2015.

Le samedi 3 octobre 2015, les populations des villes abritant les garnisons d’où sont partis les soldats « loyalistes » ont accueilli leurs « sauveurs » revenus de la noble mission de libération du pays. Partout, l’arrivée des « boys » provoquait la liesse générale sur les avenues. Ainsi, donc c’était fini pour le RSP.

Ces dernières heures de vie du RSP, ci-dessus étalées, augurent, sans nul doute, la fin non seulement d’une des forces militaires criminelles et mafieuses les plus nuisibles à la stabilité de l’Afrique de l’Ouest, mais également d'une des organisations militaro-politiques les plus néfastes à l’émergence d’une justice indépendante et vraie au Burkina Faso. Le coup d’État aura donc été « salvateur » quelque part.

Vivement qu'il en soit ainsi!

Rodrigue Hilou
Courriel : rodhilou13@gmail.com

REPENSER LE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE: ENTRE URGENCE ET ACTIONS

Une famille d'agriculteurs en plein labour dans la région de la Boucle du Mouhoun
L’Afrique a mal à son développement. Hier, continent victime de l’histoire, spolié et marginalisé, l’Afrique semble être de nos jours le continent perdu qui est en quête des repères car victime de ses propres choix politiques et économiques. Dans le débat international sur les modèles économiques et politiques, l’Afrique reste consommatrice. Si on ne lui impose pas une vision du monde qui lui est étrangère, c’est que de façon volontaire elle choisit elle-même de copier-coller chez les autres leurs visions du monde qui leurs sont propres.

Une réalité vraie, qui est la principale source de notre blocage sur le chantier du développement. A quand le réveil pour ouvrir la bonne porte de l'histoire ?
Pour mieux comprendre la situation réelle dans laquelle se trouve l’Afrique, il faut une analyse profonde des questions de développement au plan international. Le jeu se présente de telle sorte qu’il y a ceux qui font et défont les règles d’une part et d’autre part ceux qui les subissent. L’Afrique semble être du deuxième lot. 

Il est temps de fuir l'illusion...


D'abord tout est dans les concepts utilisés au plan mondial pour catégoriser les pays. Pays développés, pays émergents, pays en voie de développement, ... Des concepts qui ont fini par s’imposer dans les discours politique, économique et social partout dans le monde. Des concepts qui pourtant renferment le monde dans une logique de linéarité du développement. Une thèse qui peut être difficilement admise dans le contexte du siècle en cours. Unanimement, les Hommes semblent accepter que la question du développement relève des domaines les plus complexes. Ainsi, chaque groupe social se doit, dans une logique dualiste à la fois corpusculaire et holistique, de penser son développement et ce, en fonction des facteurs réels et non illusoires qui l’entourent.

Le constat est que toutes les sociétés se trouvent à la croisée de nouvelles manières de penser et d’agir des acteurs sociaux qui relèvent le plus souvent du pathologique. En effet, dans une logique linéaire, le développement dans la société wagon (émergente ou en voie de développement) est affecté et infecté par des logiques et politiques exogènes émanant de la société locomotive (dite développée) dont l’internalisation se heurte à des logiques sociales préétablies savamment par des générations antérieures. Mais ces logiques sociales qui sont des barrières de protection socioculturelles vont rompre dans le rapport de force. Une logique de domination froide se met en place faisant des sociétés wagon des réceptacles muets.

...Passer à l'action


Il faut donc réinventer les paradigmes du développement par l’Afrique et pour l’Afrique. Le développement est certes le produit de chocs culturel et économique entre deux ou plusieurs sociétés, mais c’est aussi et avant tout le produit des efforts endogènes tendant à apporter réponse aux problèmes réels vécus au quotidien. Les théories sont une nourriture pour le cerveau, donc pour la réflexion, mais seules les actions développent un pays. Pour l’Afrique il y a urgence d’agir.

En effet, les performances en matière de développement se jureront non pas au nombre des programmes et projets élaborés pour lutter contre la pauvreté ou à la quantité des montants alloués à ces programmes et projets de développement. Elles se jugeront plutôt à leur capacité à créer des conditions de valorisations des potentialités existantes ou à créer de nouvelles opportunités pour les acteurs sociaux (la jeunesse surtout) sans complaisance aucune. Cela ne peut guère être le fruit du hasard mais réside dans le type d’approche et dans les stratégies à déployer — qui doivent être en lien avec les aspirations de la base — au cours des interventions qui promeuvent le développement. car on ne développe pas on se développe dixit J. Ki-Zerbo.

Le constat actuel est que les pouvoirs publics, les projets et programmes, et autres structures d’appui au développement, pensent agir sur des éléments sociaux dont ils maîtrisent tous les contours en se basant sur des paradigmes sortis des laboratoires de sciences po, économiques et sociales de grandes écoles, surtout occidentales. Ce qui est loin d’être vrai. Même si force est de reconnaître qu’ils constituent des connaissances empiriques pouvant appuyer les actions sur le terrain.

...Se mettre en marche pour un vrai développement


Partant de constat, il y a nécessité que les nouvelles interventions à venir se mettent, de façon urgente, dans la logique de l’accompagnement d’initiatives locales — aussi banales soient-elles aux yeux des partenaires techniques et financiers — car c’est là que réside le développement, le vrai.