Des étudiants de sociologie de l'université de Ouagadougou Crédit photo : news.aouaga.com |
Depuis sa création en 1839 par
Auguste Comte, les grands sociologues qui se sont succédés n'ont pas manqué de
rappeler les fondements scientifiques de la discipline sociologique et son
apport dans le management de nos sociétés contemporaines. Aujourd’hui dans un
monde en plein mouvement, où les principes scientifiques des sociologues sont de
plus en plus abandonnés au détriment de principes et logiques politico-économiques,
il est temps que cette noble discipline revienne à ses fonctions premières. C’est-à-dire
assister la marche des sociétés sur les chantiers du développement. C’est de
cette sociologie que l’Afrique a besoin. Le Burkina Faso, plus particulièrement, attend le réveil
salvateur de cette discipline aux capacités multivariées et insoupçonnées.
Le problème
Depuis bien des années, des
burkinabé se forment dans nos universités publiques comme privées, en Afrique
comme ailleurs dans le monde avec pour vocation de servir le développement. Notre
développement. Cependant, l’apport des sociologues burkinabé qui devrait être
corrélé à leur leadership dans le domaine du développement n’arrive pas à
succéder au nombre pourtant croissant de diplômés qui sortent de la filière
sociologie (en occident comme en Afrique).
On constate plutôt des
sociologues orientés de gré ou de force sur des chantiers autres que les leurs.
Parfois noyé dans le jeu politique et économique, le sociologue burkinabé n’arrive pas à prendre sa distance
pour produire des discours objectifs sur notre société qui est pourtant de plus
en plus malade.
Les quelques rares sociologues
qui s’y adonnent n’ont cependant pas de tribunes pour faire entendre leurs
voix. D’autres par contre, sont dans les coulisses du développement comme des
consultants renommés mais qui peinent à vivre leur sacerdoce. Or, cette
discipline regorge de potentialités énormes qui ne demandent qu’à être explorées
et exploitées pour contribuer au développement de nos nations en quête d’un mieux-être.
Ce qui fait la particularité du discours scientifique du sociologue et le rend nécessaire
Lorsque le sociologue observe un
fait social, il se débarrasse de tout préjugé. C’est vrai qu’il y a la
difficulté de ce que le questionnement sociologique recouvre souvent des
considérations de sens commun, et par-là des présupposés et des préjugés. Mais
la posture scientifique qui est la sienne lui commande de faire une rupture
d’avec ces présupposés et ces préjugés. La sociologie est une science. C'est un
fait indéniable. Ce n’est donc pas parce qu’elle porte sur des comportements humains
immédiatement compréhensibles qu’elle doit se contenter de reproduire les
réflexions du sens commun. Non elle vaut mieux que ça à mon avis. Au plan
théorique les précurseurs comme Gaston Bachelard et Emile Durkheim donnent
assez de pistes pour arriver à dompter les prénotions et à produire un discours
scientifique et utile pour la société.
A l’instar des autres sciences, la
sociologie doit non seulement faire des découvertes objectives, mais en plus chercher
des modèles explicatifs efficaces et scientifiquement soutenables comme l'ont
démontré de grands sociologues comme Durkheim, Weber et Bourdieu. Le sociologue
est appelé à se démarquer des découvertes simplement plausibles qui n’ont
aucune valeur ajoutée dans la marche de l’humanité.
Tous les grands sociologues ont
gardé dans leurs approches la règle de base qui donne quitus au discours
sociologique. Cette règle de base est bien sûr celle de la prise de distance
par rapport aux choses. C’est-à-dire, ne pas s’y impliquer émotionnellement (en
cela je ne suis pas le bon exemple, je le reconnais). Autrement dit, la
compréhension d’un phénomène ne peut résulter que de son traitement objectif et
non subjectif.
La subjectivité comme goulet d’étranglement
La posture scientifique qui veut
que le sociologue commence par lutter contre la subjectivité dans la production
de son discours reste chantée depuis la naissance de la discipline. Cependant, il
est temps que cette même sociologie devienne son propre objet d’étude car
sujette au changement. Thomas Khun ne la met-il pas dans le lot des sciences
dites révolutionnaires, c’est-à-dire basées sur des paradigmes évolutifs ?
Les faits auxquels sont confrontés les sociologues demandent d’adopter effectivement une
posture de distance vis-à-vis de la subjectivité mais pas au prix de tomber dans un scientisme aberrant.
Pour moi, la subjectivité n'est
que mesure en sociologie. Tout part de la subjectivité ou du moins tout n'est
que subjectivité en amont d'une recherche. Si l’objectivité est la quête, elle
ne doit pas pour autant devenir l’obsession chronique. La phobie congénitale qu’ont les sociologues de la subjectivité ne saurait se justifié au regard de sa
position souvent solitaire face aux autres acteurs de la vie sociale. Le scientifique et universitaire est aussi l'expert des questions sociales de notre époque. Ainsi donc, le discours sociologique a besoin de partir de nos sensibilités réelles pour répondre aux préoccupations réelles de la société. Quand un discours scientifique ne part pas de discours profanes on ne peut que s'attendre à des résultats trop savants, parfois nul d'utilité. Cela amène à se demander, où commence la subjectivité
et où se termine-t-elle ? Quelles en sont ses limites tangibles? Dans le cadre d’une recherche, les limites formelles
sont souvent visibles mais poreuses face à la nécessité de certaines
conclusions (déontologie du métier). Je dirai donc que le travail du sociologue consiste n'ont pas à
produire obligatoirement des résultats contraires à ses appréhensions de départ
mais plutôt à les réfuter ou à les confirmer à partir d'une démarche
scientifique rigoureuse, exempte de toute critique et de tout reproche.
Bachelard nous rappelle que le
fait social est conquis. Cela me fait dire que cette conquête ne se fait que
sur le champ de la subjectivité. Le sociologue est avant tout acteur social,
son discours part forcement de sa vision du monde et de sa lecture de son
environnement politique, culturel, économique, religieux, etc. Conquérir le
fait social sur les préjugés fait de la sociologie une discipline consciente de
ses limites qui recherche toujours l'objectivité, gage de la scientificité de
ses résultats de recherche.
La sociologie reste ce qu’elle est et ne peut donner que ce qu’elle a de mieux à offrir
Le sociologue doit
faire l'effort de ne pas tomber dans un positionnement paranoïaque
vis à vis de l'effet de la subjectivité sur ses résultats. Il doit être
conscient que la particularité de sa discipline l’amène parfois à faire écho
des réalités sociales telles que vécues et analyser par le profane.
Je verrai le sociologue comme un tisserand.
Le ruban de tissu est le résultat de sa recherche. Il ne peut l’obtenir
qu’en entremêlant des fils (méthodes et discours scientifiques, faits observés,
etc.). Cela se fait à partir d’une navette à tisser que moi je considérerai
comme sa propre vision du monde donc sa subjectivité. Ce qui compte, ce n’est
pas qu’il se serve de cette navette à tisser mais son
aptitude à produire des tissus solides, beaux et accessibles à tous. Pendant le tissage il doit moins se soucier de son recours à la navette à
tisser mais du résultat. En effet, le résultat de son travail sera détaché du métier à tisser et présenté
indépendamment de la navette. Mieux on ne verra même pas les traces de la navette
à tisser sur son chef-d’œuvre. C’est ainsi que Weber a pu démontrer le lien
entre calvinisme (protestantisme) et capitalisme. Ce résultat emblématique en
sociologie n’était à la base qu’une observation empirique de faits (donc
subjective) mais dont une démarche rigoureuse a pu valoriser scientifiquement.
Sans tombé dans un sociologisme
béat, je crois que le sociologue est appelé, tel qu’il est, tel que sa
discipline l’a modelé, à prendre le chemin de son sacerdoce pour contribuer au
développement de nos nations. Les critiques formulées à l’endroit de cette discipline
pour son élan parfois subjectif ne doivent en aucun cas être des obstacles mais
plutôt des défis que la société lui lance. Cela doit se faire non seulement
dans les réflexions et l’avancée des théories mais également dans l’action. C'est
à ce prix, et je n'en doute point, que la sociologie burkinabé pourra avoir une
fonction à la fois curative et préventive, c’est-à-dire guérir notre société
malade et en reconnaître les potentiels maux pour les prévenir. C’est pour
cette sociologie que je m’engage.
Rodrigue Hilou
Sociologue
rodhilou13@gmail.com
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