mercredi 2 décembre 2015

LA MARCHE DÉMOCRATIQUE DU BURKINA FASO : L’INSURRECTION COMME RENAISSANCE

Les électeurs en queue pour exprimer leurs choix / Crédit photo: lepoint.fr 
Depuis le 29 novembre 2015, la fermeture des bureaux de vote sans heurts présageait un succès indéniable du processus électoral devant marquer la fin de la transition au Burkina Faso. Pour rappel, cette transition avait été entamée au lendemain de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 contre la modification de l’article 37 de la constitution. Une insurrection salutaire à plus d’un titre qui a emporté avec elle, dans les oubliettes de l’histoire, les pouvoirs législatif et exécutif du défunt régime Compaoré. 

Aujourd’hui, le train de la démocratie burkinabé reprend de façon formelle les rails avec la proclamation des résultats des élections présidentielles, qui donnent Roch Marc Christian Kaboré vainqueur. L’avènement de cette ère démocratique (dans la forme pour l’instant) est à mettre à l’actif du courage du peuple burkinabé au travers de son insurrection pour défendre la constitution et la république.

Replacer l’insurrection dans son rôle historique…dès maintenant !


Sans nul doute, l’insurrection du peuple burkinabé des 30 et 31 octobre 2014, avec à sa tête sa jeunesse, reste le phénomène déclencheur de la nouvelle ère démocratique qui se dessine au pays des hommes intègres.  En raison de son caractère radical et même brutal dans une certaine mesure, l’insurrection d’octobre 2014 a exercé une influence des plus déterminantes sur la formation de l’idée « d’un vrai pouvoir du peuple ». Indéniablement cela s’est inscrit dans la conscience collective au plan national. Autrement dit, elle est et demeurera un « phénomène social total* » en ce sens qu’elle a incarné en elle une transformation globale de la société burkinabé allant du politique à l’économique en passant par le social, le religieux et le culturel. Tous les pans de la vie nationale ont été ébranlés par cet événement historique. Mais l’importance de cette insurrection part au-delà de son rôle de destruction ou de reniement populaire d’un système oppresseur vieux de 27 ans. Au-delà donc de son rôle tant historique c’est tout l’espoir qu’elle laisse poindre à l’horizon : l’espoir de voir naitre le « burkinabé nouveau », juste, intègre, travailleur et patriote ! Est-ce une cible qui relève d’un idéal-type béat ou un projet objectif et réalisable ? La question reste posée. 

Des acquis indéniables qui feront désormais partie de l’identité nationale


L’autre importance de l’insurrection burkinabé réside dans l’acquisition d’un certain nombre de principes qui sont en train d’acquérir peu à peu une portée nationale voire continentale. Il n’est pas tôt pour le dire. Depuis l’insurrection de fin octobre 2014, l’espace public burkinabé semble, en effet, se conjuguer avec les concepts comme les « libertés publiques » (liberté d’opinion, d’expression, de circulation), la « justice sociale » (peut-être en construction), « l’indépendance du pouvoir judiciaire » (observable par des bases qui se posent), etc. Ces principes sont en réalité les manifestations réelles d’une ère démocratique en construction. Cependant, au cours de la transition bien des difficultés ont été observées. Ces acquis sont en passe d’être de pseudo-valeurs au regard de leur exploitation par les citoyens désormais « libres ». De la trop grande implication politique de la société civile, au débordement des libertés civiques (droit de grève, de manifestation et d’association) en passant par le parasitage militaro-politique, ces principes acquis par l’insurrection ont bien été bousculés, voire mal exploités. Il est donc important que l’autorité de l’Etat soit rétablie dans sa plénitude pour, non pas freiner l’épanouissement de ces libertés, mais les encadrer et les protéger. Ils sont le fruit d’une lutte qui a un côté funeste.

L’esprit de l’insurrection dans les urnes présidentielles ?


Les élections n’ont point échappé à l’effet domino de ce soulèvement populaire d’octobre 2014. En effet, un an après l’insurrection, les Burkinabé sont allés aux urnes élire leur président. Là encore, comme des victimes d’une vague violente, mieux, comme des marionnettes dans les mains du vent de changement qui souffle sur le pays des hommes intègres, les candidats n’ont pas pu s’échapper de l’emprise de l’insurrection. En esprit, cette dernière a plané sur la campagne électorale.  En effet, au-delà des programmes politiques, ce sont des arguments basés sur le « vrai changement » qui se sont combattus. Il fallait coûte que coûte tenir un discours révolutionnaire pour mobiliser le peuple. Mais, cet esprit de l’insurrection qui a su maîtriser et garder les politiques en respect a-t-il aussi eu un effet sur le vote des burkinabé ? Là, la réponse reste mitigée. 
Du besoin d’une rupture totale avec l’ancien système au désir d’un changement de cap, les électeurs savaient indéniablement qu’ils voteraient pour du nouveau. Mais toute l’attente était de voir si ce nouveau serait fait avec du vieux ou avec du neuf. Sans rester dans les polémiques politiques, il faut reconnaitre à ces élections leur caractère atypique en ce sens que seul l’argument du changement est sorti gagnant des urnes (mais à chacun sa vision du changement). C’est donc bien le changement qui a gagné. Ces élections viennent ainsi de donner forme, légalité et légitimité à l’esprit de l’insurrection. Cet esprit qui veut que « plus rien ne soit comme avant » mais que tout soit mieux et de manière positive.

Une reconfiguration de l’hémicycle qui a un goût insurrectionnel


La configuration nouvelle de l’hémicycle montre bien que la voix du peuple va désormais retentir au sein des représentants nationaux. La razzia électorale n’ayant pas été au rendez-vous, l’heure est au compromis politique pour la gouvernance. Les urnes n’ont donc pas tellement trahi l’esprit de l’insurrection. Elles ont donné des résultats qui montrent bien que « plus rien ne sera comme avant ». La députation devient plus que de la simple représentation : elle implique désormais et paradoxalement la notion de « gouvernance ». Une reconfiguration salutaire qui, du reste, est à mettre au compte de l’insurrection. Cela laisse entrevoir et d’une manière définitive l’idéal d’une société démocratique, quel que soit le type de régime politique dans lequel elle s’incarnera désormais au Burkina Faso.

Rodrigue HILOU
Sociologue 

* « Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux totaux ou, si l’on veut — mais nous aimons moins le mot —, généraux : c’est-à-dire qu’ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions » — Marcel Mauss in Essai sur le don

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