jeudi 24 mai 2018

L'ÉDUCATION C'EST LA CLÉ. OUI, MAIS QUELLE ÉDUCATION ?

Dans nos sociétés traditionnelles, l'éducation n'a jamais été une préoccupation majeure, du fait de la grande stabilité dont jouissaient les institutions en charge de cette mission (familles, rites d'initiation, etc.). L'enfant était un "bien commun" avant d'être un membre à part entière de la société. À ce titre, tout le monde s'investissait dans son éducation pour qu'il soit correcte et puisse se conformer aux préceptes de la société : c'est la socialisation. Et c'est comme cela que de façon stable la société se reproduisait. Quant à l'instruction devant préparer l'enfant à exercer un métier cela revenait à son caste. L'enfant du forgeron devenait forgeron, l'enfant du pêcheur devenait pêcheur, l'enfant du cultivateur devenait cultivateur,... Et la société se portait mieux ainsi. Peut-être moins "riches", moins "propres" et moins "cultivés" que vous et moi, mais ils vivaient dans la quiétude en étant solidaires et responsables. 

L'école, l'irresponsable plaque tournante de notre système éducatif

Avec le choc culturel qu'ont connu nos sociétés traditionnelles, du fait de la colonisation, le modèle occidental d'éducation (instruction en réalité) à fini par s'imposer à nos sociétés comme le modèle le mieux achevé. C'est de là que vient notre malheur.

Très vite, l'école du blanc s'est réduit à être uniquement un outil de préparation à exercer un emploi. Elle est devenue la plaque tournante de notre système éducatif. Cette nouvelle institution à ainsi bouleversé nos sociétés jusque dans leurs noyaux. Elles sont perdues.  Elles n'arrivent plus à se retrouver, ni à assurer leur propre reproduction. Avec l'école du blanc nos sociétés traditionnelles ont perdues leurs âmes. En effet, cette école ouvre l'esprit certes, mais rend le coeur pauvre et aveugle. De plus en plus, on ne part à l'école que pour amasser des diplômes et chercher à "devenir quelqu'un". Les préceptes de la société, on s'en fout tout simplement. La fin justifie les moyens. Triste réalité.

Et l'avènement des familles nucléaires toutes aussi irresponsables que l'école complète le tableau

Effet pour effet, conséquence pour conséquence, les grandes familles (lieux de socialisation par excellence) se disloquent de plus en plus laissant place à des lambeaux de famille qui se disent modernes. Des familles "nucléarisées" jusque dans leur intelligence. Elles exaltent le beau et jettent en pâture le bien. Elles miment l'Occident en se cachant à elles-mêmes. La morale a foutu le camp. L'argent est le ciment des relations au sein de ces nouvelles familles. Monsieur et madame fuient leur responsabilité parentale pour se réfugier derrière l'image de parents modernes ultra occupés professionnellement. En réalité, c'est une démission. Du coup, la société est sans cockpit. Ça part dans tous les sens.

Quand l'éducation se résume à l'instruction

L'enseignement au Burkina Faso n'associe pas instruction et socialisation. Pire, l'instruction se fait sans intelligence. On "bourre la tête" de concepts et de formules. On n'éduque plus, on ne socialise plus. Et bonjour le désordre.  De nos jours la différence entre instruits et non instruits est peu perceptible. Et cela affecte énormément le devenir de notre société. Le vivre ensemble est menacé. Il n'y a plus de valeur qui tienne. Tout est violable et tout est violé. Même les principes sacrés les plus élémentaires. Et ça se dit pays en voie de développement. Quel développement ?

Peut-on développer sans se développer ? D'ailleurs, «on ne développe pas on se développe» (Ki-Zerbo). Et j'ajouterai qu'on ne peut se développer sans être passé par la case socialisation. La socialisation a une double face avantageuse pour la société. Une face interne par laquelle l’individu fait siennes les règles sociales entraînant souvent un sentiment de culpabilité quand celui-ci sent qu’il n’est pas conforme à ces règles. Une face externe liée au contrôle social, au regard d’autrui, ce qui peut provoquer un sentiment de honte, une réprobation et parfois un châtiment.

Alors, ce qui nous reste à faire c'est de recourir à des formes coercitives de socialisation. C'est de dire non à cette démission des familles. C'est de dire non à cette école qui déshumanise. C'est de nous imposer la morale.  C'est de nous donner des valeurs. C'est de dépolitiser nos systèmes de valeur (religions et coutumes). Et il nous faut vite agir, le temps est contre nous.

On ne pourra décoller sans se donner les bases d'une bonne socialisation. La socialisation est le travail d’intériorisation de nos éléments culturels et des attentes sociales. Elle remplit une fonction morale et anthropologique essentielle dans le devenir de toute société. Et l'actualité dans notre pays montre que nous sommes dans l'impasse en la matière.

Puissent la lucidité, la sagesse et le courage habiter les coeurs de nos dirigeants. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas une réforme économique. C'est une réforme sociale basée sur un nouveau système éducatif plus moral et plus humanisant. Le reste va suivre.

Rodrigue Hilou
Sociologue

mardi 24 avril 2018

POLITIQUE AGRICOLE AU FASO : DISONS NON AU MISÉRABILISME

Disons le tout net. Notre situation économique actuelle est la conséquence directe de notre "mauvaise" politique agricole. Tout est lié au secteur primaire. TOUT. Nous sommes un pays dont l'économie est essentiellement agricole. Rappelons le.

Chaque année, après la campagne agricole que brandissons-nous ? Nos échecs. La fatalité. Nos faiblesses. Des lendemains durs. Chaque année. Et rien n'est proposé pour nous sortir de ÇA. CHAQUE ANNÉE. C'est du misérabilisme. Il faut y mettre fin.

ALLER VERS UNE #CAPACITATION STRUCTURELLE DU MONDE RURAL

Nous devons travailler à développer des capacités réelles et durables au niveau des agriculteurs. Oui, nos producteurs n'ont pas besoin d'un assistanat chronique. C'est cette politique qui les affaiblit en réalité. L'assistanat tue l'assisté. Nos agriculteurs ont plutôt besoin d'une "capacitation" structurelle. L'objectif de cette capacitation est de les amener à être d'abord utile pour eux-mêmes. Qu'eux mêmes soient capables de se nourrir toute l'année. Les excédents c'est une autre question. 

OUI, CHANGEONS DE MÉTHODE

Sinon comment comprendre que sur une décennie on soit là à appuyer les mêmes "exploitants" pour que ceux-ci participent in fine à l'atteinte de la sécurité (ou souveraineté) alimentaire, et que paradoxalement, ces mêmes exploitants ressortent sur la liste des "personnes vulnérables" à nourrir en période de soudure. C'est écœurant. Un producteur, appuyé sur dix ans, s'il n'est pas utile pour lui-même comment le sera-t-il pour le pays entier? Non. Il faut que l'on arrête. Chaque année des milliards, toujours pas de résultats. Qu'est ce qui bloque ? La méthode. Oui la méthode. Changeons la. Travaillons à développer un programme "sérieux" (pour une fois) qui va donner de la capacité au monde rurale. Identifions les bonnes pratiques à tous les niveaux, capitalisons les et diffusons les. Arrêtons ces politiques agricoles basées sur du misérabilisme. Ça ne nous honore pas. Le monde rural vaut mieux que ça.

Rodrigue HILOU
Sociologue

dimanche 11 mars 2018

L'ECOLE, OUTIL DE REPRODUCTION OU DE RÉDUCTION DES INÉGALITÉS SOCIALES ?

DÉMOCRATISONS LA SOCIOLOGIE (8)

L'école, outil de reproduction ou de réduction des inégalités sociales ?

Actualité oblige. L'enquête du journal "Le reporter" sur l'éventuelle politisation du système d'octroi de bourses est venu réveiller un vieux débat qui a été posé par les sociologues de l'éducation. Il s'agit du lien entre école et inégalités sociales. Là-dessus, deux courants s'affrontent : d'une part ceux pour qui l'école est un outil de reproduction des inégalités sociales et d'autre par ceux qui pensent plutôt que l'école est un outil de réduction des inégalités sociales. Examinons.




1-Les concepts

#Inégalité_sociale: Nous reprenons ici la définition la plus simple du concept d'inégalité sociale. Nous entendons donc par inégalité, du point de vue social toute différence dans l'accès à des ressources sociales rares et valorisées, ressources étant entendu au sens le plus large, incluant toutes les possibilités d'actions humaines : politique, économique, culturelle, sociale, sexuelle, etc.

#École : Une école est un établissement où l'on accueille des individus appelés « écoliers » ou élèves afin que des professeurs leur dispensent un enseignement de façon collective. En sociologie, l'école (avec grand E) est un concept large qui prend tous les cursus (primaire, secondaire et universitaire).

Après ces brèves clarifications, nous pouvons aborder notre problématique: L'école, outil de reproduction ou de réduction des inégalités sociales ?

2- L'école vu comme outil de reproduction des inégalités sociales

Depuis les années 1960, les sociologues de l'éducation ont démontré objectivement le lien entre école et inégalités sociales. C'est à cette époque que paru deux livres qui ont eu une longue postérité dans la dénonciation de l’école comme instance de reproduction des inégalités sociales : « Les héritiers » et « La reproduction. Éléments pour une théorie
du système d’enseignement » de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964).

A cette époque, le constat de l’inégale représentation des classes sociales à mesure qu’on monte dans le cursus scolaire était était plus que visible. Les auteurs rappellent, dans les toutes premières lignes de cet ouvrage, « qu’on dit et redit qu’il n’y a que 6% de fils d’ouvriers dans l’enseignement supérieur ». Leur travail va consister à étoffer ce constat par le traitement de multiples statistiques mesurant l’inégalité des chances d’accès à l’université (selon le sexe, le statut socioprofessionnel et le niveau scolaire des parents, etc.), puis à mesurer le poids de ces différents facteurs dans le type d’études suivies, puisque même au sein de la population étudiante, déjà socialement
très ‘filtrée’, la présence dans les différentes sections (ouvrant sur des professions plus ou moins "nobles" ou lucratives) est encore fonction de l’origine sociale des étudiants.

En se basant sur ces deux ouvrages (pour l'essentiel sinon il y en a tant), les politiques éducatives vont prendre en compte cette problématique à travers des mesures visant à faire de l'école un instrument de réduction des inégalités sociales.

3-L'école comme outil de réduction des inégalités sociales

Bourses d'études, massification de l'enseignement, retrait du système de filtrage des filières, ... bien de mesures vont être prises par divers gouvernements pour réduire les inégalités sociales toujours reproduites par l'école. On va parler de "démocratisation de l'éducation" ou du concept de "l'école populaire".

Depuis lors l'école est semble-t-il devenue démocratique. Les enfants de paysans remplissent nos universités. Des bourses sont octroyées aux plus méritants des enfants de classes défavorisées. Des filières jadis réservées pour les enfants de classes favorisées vont être ouvertes à tous. Si on ne s'en tient qu'à la forme on voit bien que l'école de par ces mesures imbriquées est un instrument de réparation d'une société inégalitaire. Mieux avec des gros diplômes, certains enfants de paysans vont accéder au sommet. On parle donc de l'école comme facteur de mobilité sociale ascendante. Seulement, la lutte des classes n'est pas une lutte d'apparence. Elle se cache dans les détails.

4-Au-delà de l'école, les inégalités sociales sont plutôt enfouies dans nos réalités sociales

Malheureusement, les mesures censées réduire les inégalités sociales au niveau de l'école ne vont traiter le problème que dans l'apparence. Dans bien de pays, et c'est notre cas, ces mesures vont être récupérées par les classes aisées pour accroître leur domination dans la société à travers leurs enfants. Et comme l'élite politique est parfois confondue à l'élite économique sous nos cieux. Cette récupération est plus que facile car la gestion de l'appareil d'État est leur chasse gardée.

En bas de l'échelle également, il y a une acceptation de cette domination tant le plafond de verre est transparent. Les quelques ascension vers la classe d'en haut qui leur sont perceptibles par moment alimentent le rêve.

En clair les bourses et diplômes ne peuvent pas réduire durablement les inégalités sociales. C'est une fausse mission confiée à l'école. L'école reste à l'image de la société. Elle permet d'observer les injustices sociales liées à l'accès aux ressources de l'État, à l'accès au savoir de qualité et à l'accès aux emplois décents. Ce n'est donc pas à l'école de changer la société. C'est plutôt la société, une fois réparée qui pourra durablement changer l'école.

LA SOCIOLOGIE, UNE CLÉ POUR DÉCRYPTER NOTRE MONDE EN PERPÉTUELLE MUTATION

JOURNÉE DES DROITS DE LA FEMME : AU-DELÀ DU PAGNE ET DU DJANDJOBA

JOURNÉE DES DROITS DE LA FEMME : AU-DELÀ DU PAGNE ET DU DJANDJOBA J'AI DES QUESTIONS


Aux juristes, je demande l'état des lieux des textes juridiques en faveur de la femme burkinabè, leur degré d'adéquation aux réalités,  leur niveau de mise en oeuvre et les perspectives d'amélioration pour les rendre accessibles aux femmes (surtout rurales).

Aux sociologues, je demande l'état des lieux de l'évolution du statut social de la femme et de la jeune fille au Burkina Faso, des rapports conflictuels qui en émanent au quotidien et des perspectives d'une meilleure problématisation du sujet pour des solutions socialement durables. 

Aux communicateurs et journalistes, je demande l'état des lieux de l'accès de la femme burkinabè à l'espace public, de son droits à l'information et à la prise de parole mais aussi et surtout du traitement de l'image de la femme par les médias modernes et traditionnels. 

Aux économistes, je demande l'état des lieux du statut économique de la femme au Burkina Faso : l'accès aux financements, le renforcement de ses capacités financières et la diversification de ses sources de revenus.

Aux agents de santé, je demande l'état des lieux de la prise en charge sanitaire des femmes et des jeunes filles en situation de maladie au Burkina Faso et l'état des lieux de la lutte sectorielle contre les pathologies spécifiques aux femmes.

Aux gouvernants je demanderai de se référer aux réponses qui seront données aux questions ci-dessus formulées pour orienter ou réorienter leurs actions politiques.